guerre de religion   Episodes des guerres de la ligue à  Inor en 1590


    Une collaboration passive ?


Episodes des guerres de la ligue à Inor en 1590

Jean Taté écrivait :
"En 1589 il y eut grande division en France, les villes contre les villes, les villages contre les villages et jamais il ne s'y en est vu de pareille guerre civile et plus cruelle. Les uns estoient pour le roy (Henri III) et les autres pour les princes (Henri duc de Guise entre autres). Ceux du parti du roy s'appelaient Réalistes et ceux du parti des princes se nommaient ligueux.
Ce fut pour lors que l'agriculture fut abandonnée, le commerce anéanti, car les villes et les villages se faisaient la guerre aux uns et aux autres, l'un tenant un parti, l'autre, l'autre. Et on osait sortir de son lieu qu'attroupés et en armes, car on prenait les hommes prisonniers, on enlevait les troupeaux du parti contraire. Les villages furent obligés de se fermer de fossés jusque même les censes. L'on faisait des forts, des églises et des cimetières, où il n'y avait pas de château et maison forte pour se réfugier. L'on faisait garde jour et nuit et personne n'en était exempt, jeunes et vieux et même les femmes".

Il faut dire que la situation dans notre région est particulièrement complexe.

Jacques Miart dans le "Bulletin d' Histoire et d' Archéologie de la Meuse" No 21 de 1985 nous en donne le détail :
"Cinq parties appartenant à quatre états y sont en présence.
- Les réalistes et les ligueurs tout d'abord, dans un royaume de France limité alors pratiquement par la Meuse avec les villes de Mézières, Donchery, Beaumont et Mouzon. La grande majorité des cités de Champagne ont juré l'Union avec la ligue, dont les chefs dépêchent sur place une sorte de condottiere, Monsieur de saint Paul, afin de veiller à la sureté. Ce dernier profitant de l'absence momentanée de Louis de Gonzague (le père du fondateur de Charleville) s'acquitte avec zèle de sa mission au cours de l'année 1589.
- La principauté indépendante de Sedan, haut-lieu du calvinisme, qui soutient les prétentions d' Henri de Navarre, (
le futur Henry IV), à la couronne de France. .
- Le duché de Lorraine, terre d' Empire, dont la prévôté et châtellenie de Stenay forme en quelque sorte le bastion avancé vers le nord-ouest. Catholique convaincu, politique ambitieux, le duc de Lorraine Charles III feint l'hésitation entre Henri III et les ligueurs.
- Le duché de Luxembourg enfin, auquel appartiennent Carignan et Montmédy, fait partie des Pays-Bas espagnols, alliés de la ligue."

Depuis octobre 1587, la Lorraine catholique est en guerre avec Sedan, cité protestante.
Les troupes lorraines parviennent le 25/07/1589 à s'emparer de Jametz qui appartenait à la principauté.
L'assassinat du duc de Guise, à Blois le 23/12/1588, puis celui d'Henri III le 01/08/1589 vont entrainer Charles III dans une guerre contre Henri de Navarre, le futur Henri IV.
Ce dernier, bien que protestant est héritier du royaume de France, ce que Charles III, principal soutien de la ligue ne peut accepter. Il lui déclare donc la guerre le 14/01/1590.
Il  attaque Villefranche qui capitule au bout de 5 jours, le 09/10/1590, puis sainte Menehould.
Louis de Gonzague, duc de Nevers s'étant rallié à Henri de Navarre, prend possession du gouvernement de Champagne pour bloquer la route vers Paris aux Lorrains et aux Espagnols.

Il est donc certain que notre région fut particulièrement concernée par ces conflits.
Le siège de Jametz, la guerre avec la France à partir de 1590, le conflit franco-espagnol qui se termina seulement en 1598, ne furent pas sans conséquences dans la prévôté.
En 1616 (donc 25 ans après) les habitants adressent un mémoire au duc de Lorraine et à la chambre des comptes de Bar qui raconte les conséquences de tous ces conflits :
"Il se trouve encore audit Moulins plus de la moitié du village en masures qui ont été brûlées par les guerres civiles dernières, entre autres par les troupes de feu monseigneur le duc de Nevers à la poursuite qu'il fit contre monseigneur le comte de Chaligny lorsqu'il sortit de devant Aulmont le Chasteau (Omont 08) n'ayant eu lesdits habitants depuis ledit temps moyens de les réédifier à cause de leur pauvreté et des guerres civiles des voisins"

Un document rédigé vers 1594 et conservé aux AD55 (B3095) fournit un état assez détaillé de la prévôté de Stenay.
Il indique que Cervizy est totalement brûlé et abandonné; que les fours banaux de Wiseppe, Inor, Ginvry, Charmois et Remoiville sont ruinés ainsi que les moulins de Chaufour et d'Inor; que les censes de La Borde, la Petite-Boulain, Hurtebise, Prouilly et La Wame sont ruinées et leurs terres en friche; que les maisons fortes de Pouilly, Charmois et Landzecourt sont ruinées etc.



C'est dans ce contexte que vont se dérouler les deux événements dont il est fait mention dans le manuscrit 404 de la Bibliothèque Nationale, étudié par Jacques Miart.

Charles III est averti à la fin de l'année 1590, qu'à diverses reprises ses ennemis sont passés sans être mal accueillis, à travers le village d'Inor, terre lorraine, qui fait partie de la prévôté de Stenay. Aussi commande-t-il à Jacques de Mouzay, contrôleur et clerc juré à Stenay, d'ouvrir une enquête. Quatre cavaliers et cinq fantassins seront entendus.

Le récit de ces soldats relate deux faits survenus à Inor au cours du mois de novembre.

Le premier des événements concerne l'incursion en Lorraine du duc de Nevers, poursuivant
Henri de Lorraine (1570-1601) comte de Chaligny,
Le comte de Chaligny profitant de l'absence du duc, s'était engagé dans le Rethèlois et se trouvait le 10/11/1590 à Vendresse (08), propriété du duc. Lequel s'empressa d'arriver de Châlons et poursuivre Chaligny.
"A dix heure du soir (10/11/1590) tout le monde délogea sans bruit, et Chaligny avec une telle frayeur, qu'il ne s'arrêta qu'à Pouilly et Hinault (Inor), en Lorraine, au delà de la Meuse près de Stenay"
Nevers se mit donc à la poursuite de Chaligny, mais sa cavalerie, fatiguée par tant de route dut se reposer, ce qui laissa du temps à Chaligny pour s'enfuir de nouveau et se retrancher dans Stenay.
Nevers arriva le 12 à Pouilly et occupa jusqu'au 13 les villages abandonnés. Jacques Miart pense que Moulins-saint-Hubert fut brulé en partie à cette occasion. (BN, Collection Lorraine, ms 405)

C'est donc sans doute le 12 que les troupes du duc de Nevers entrèrent dans Inor pour y passer la nuit et sans être inquiétées.




Le second évènement
concerne le passage dans Inor de Sedanais au retour d'un raid vers Jametz, fin novembre 1590.

Jametz faisait partie de la Principauté de Sedan, mais "...le duc de Lorraine prend le château de Jametz après trois ans de siège..." nous apprend Fulgence Richer. Denain en fait état également.
Le siège a en effet commencé en 1588. (La place était alors défendue par Jean Errard, natif de Bar le Duc, mais converti au protestantisme et dont l'exploit établira sa réputation.)
Les Sedanais lancent alors des raids de représailles avec peut être l'espoir de reconquérir cette bourgade, îlot protestant en terre lorraine.
C'est en tout cas au retour d'une de ces expéditions, que dans la matinée du 29/11/1590, ils repassent par Martincourt et Inor, sans être inquiétés, ce qui provoqua l'enquête de Charles III sur cette complicité passive.



On pourra lire dans l'étude de Jacques Miart les témoignages de soldats relatifs à ces épisodes.
Il les a retranscrit en l'état, mais ils restent parfaitement lisibles.
Ils sont consultables à la BN, feuillets 5 à 85 du manuscrit 404 de la Collection Lorraine.

Il ressort de ces témoignages que le sieur de Pouilly, sieur d'Inor et autres bourgeois d'Inor demandèrent "...de ne point tirer sur l'ennemi, et que si ils tiraient, il serait cause de faire bruler le village et de le mettre en guerre, lui qui n'y était point..."

On ne sait les suites données à cette enquête. Charles III exerça-t-il des représailles à l'encontre du sieur de Pouilly et Inor, pour ces complaisances avec l'ennemi ?