bonnet phrygienUn épisode de la révolution.


Le retour du seigneur Albert Louis de Pouilly


Un émigré de passage, Albert Louis de Pouilly en 1792.


Ces textes m'ont été fournis par Philippe Voluer, archiviste à Stenay.
Une copie serait conservée dans les archives des Pouilly de Cornay. (d'après Radmila Slabakova)

L'auteur en est Charles Jean-Baptiste Marie Pilard.
Il est né à Sedan le 23/03/1843 et décédé le 22/10/1902 à Orléans. Il était le fils de Jean-François Pilard décédé le 27/11/1869 à Sedan et de Scholastique Émilie Clémence Terribilini.
Son grand père-paternel était Jean-Baptiste Pilard marié à Jeanne Marie Thomas. (de la région de Carignan ?)
Quand il écrit "Ce que grand père raconte", parle-t-il de ce grand père, qui aurait alors vécu à Pouilly ? Je n'en trouve pas trace.
En 1884 à Orléans il édite "Ce que grand père raconte. Souvenirs d'un vieux Guépin" réédité en 2012 sous le nom de "Chroniques orléanaises. 1789-1815" par Hélène Claire Richard. Isbn 978-2-7466-5540-9
Le "Journal du Loiret" du 01/06/1930 écrit à propos de ces souvenirs : "...tous les récits du grand père sont captivants bien qu'ils soient par endroit décousus. La mémoire du conteur est si vaste qu'elle a emmagasiné pêle-mêle, une multitude d'évènements que Charles Pilard a plus ou moins exactement contrôlés..."
C'était peut être une manière de raconter l'histoire en la faisant cautionner par un soit-disant grand père.
Peut on se fier à celle concernant Pouilly ?
Il cite des noms qui n'ont pu être inventés. Les faits ont peut être été orientés par esprit républicain quand il émet quelques critiques concernant les De Pouilly ? Quoiqu'il en soit cette anecdote du retour mérite d'être lue.

La famille Pilard s'est installée à Pouilly, mais bien après 1792, puisqu'il est le frère d'Albert Marie Joseph Pilard, qui achète et transforme l'usine de Pouilly en filature et qui fut maire du village.

Notre auteur se marie le 08/06/1872 à Orléans avec Lucie Marie Victorine Ducloux de cette ville. (AD45 mariages EC 52794  1872 251/547)
Le fonds Pierre Congar à Sedan conserve un dossier le concernant qu'il faudrait éplucher.
Il était entré comme membre de la "Société des gens de Lettres" le 17/04/1882
On ne sait rien sur ses activités de pigiste au Journal de Montmedy.


Voici donc ces textes :


En 1792 ce que grand-père raconte :

page 1 retour sgr Py Dimanche dernier, en sortant de la grand-messe, je regardais notre cimetière qui se remplit fort, hélas ! Et me disait : si d'aucun de ceux qui sont là pouvaient encore parler, que de choses ils apprendraient aux gens d'aujourd'hui, choses dont ils ne se doutent pas, choses bien curieuses parfois.
En regardant la place où j'ai vu enterrer Jean Damery, je me rappelais ce qu'il racontait de la grande révolution qu'il avait vue s'accomplir. Une chose qui lui revenait souvent à la bouche, c'était à propos de l'invasion de 92.
Notre seigneur M. le baron de Pouilly avait émigré depuis quelque temps; on se doutait qu'il devait avoir rejoint l'armée de Condé (en fait c'était celle du comte d'Artois, futur Charles X) qui se formait derrière le Rhin dans l'espoir d'écraser la révolution et de rétablir le roi en son pouvoir, car c'était un vrai militaire, colonel de hussards, tel qu'on connaissait son caractère, certainement il voudrait nous remettre ces lois.


Pendant l'été de 92, on avait été assez tranquille dans notre commune, on n'y avait vu d'autres uniformes que ceux des Français de l'armée de Lafayette qui étaient cantonnés de Mouzon à Sedan, mais après la déchéance de Louis XVI, l'ennemi se rapprocha.
Dumouriez qui avait succédé à Lafayette (après qu'il ait déserté) , emmena son armée en Argonne où il finit par battre les coalisés et entre-temps, les Autrichiens s'emparèrent au commencement de septembre des ponts de Stenay, sans lesquels ils ne pouvaient entrer en France à leur gré..
De ce jour, on commença au village à avoir des craintes sérieuses pour la vie de chacun, d'abord pour les habitations, pour les récoltes remisées dans les greniers, pour nos bois de commune, car on savait que les Autrichiens avaient presque entièrement défriché la forêt de Dagobert au-dessus de Mouzay et enfin pour les vignes qui nous promettaient une belle vendange et était déjà avancées.

Que de crainte de la guerre fait naître, car elle renferme en elle tous les maux possibles, et pourtant nous étions bien réellement dans notre droit si nous voulions la république, nous en étions certainement les maitres et nous l'avions victorieusement prouvé aux rois coalisés contre nous.
Nous ne pouvions espérer de secours de l'armée de Dumouriez ; pour en trouver seulement la queue, il aurait fallu aller jusqu'à Tailly, et la route de Laneuville était souvent parcourue par les Ulhans, qui poussaient des courses jusqu'à Mouzon et même Douzy.
La ferme de la Wame avait déjà été rançonnée. Nous étions donc laissés à nos propres ressources et elles étaient minces.

Dans cette fâcheuse occurrence, le conseil municipal se réunit (on appelait encore par habitude les conseillers des échevins, nom qu'ils portaient avant la révolution).
C'était F.Ficquet, (François Ficquet) qui a été longtemps maire, Jean Ravigneaux, officier municipal, adjoint comme on dit aujourd'hui. Louis François Lambert, Jacques Guichard, Louis Bigot, François Godet, Jean-Baptiste Savignac, Jean-Baptiste Durlet, Jean Joseph Poterlot et Jean-Baptiste Berthet. Thomas était secrétaire greffier, Jean-François Lambert garde-champêtre et Antoine Guichard sergent de police.

En ce temps-là, le patriotisme était vif ; le conseil décida qu'on se défendrait le mieux possible contre les ennemis si on avait affaire qu'à peu de monde, c'était d'ailleurs une conduite conforme aux vœux de la Convention qui prêchait avant tout la résistance. On organisa pour le dehors un service d'éclaireurs chargés de fouiller les bois; les plus déterminés étaient Valérien Stevenot, celui qui chauffait le four banal avant 89 et qui, jusqu'à sa mort a porté la queue ; François Morlet, ancien chasseur de M. de pouilly, mais qui ne pensait plus guère à son ancien maître et Albert Saussette, garde ordinaire des bois. Dans les endroits peu profonds de la rivière, on avait planté des chevaux de frise. Des gardes nationaux allaient coucher dans les tours de la gabelle au-delà de la Meuse au lieu-dit le riglot de La Tour, englobé depuis par le canal. Il y avait toujours 12 hommes en permanence au corps de garde. Un poste de trois hommes était établi au bout du village où est aujourd'hui la maison neuve de Jules Gobert Gofflot, trois autres couchaient dans une hutte en bas de la Rulette, sur la coupe, trois derrière la maison actuellement à Montlibert proche la route de Mouzon, trois autres près de l'église, au four, trois à la sortie du village en allant sur Inor et enfin trois dans le vignoble vers l'Orme.
A vrai dire, c'était le poste le mieux gardé, non pas peut-être du point de vue de la sécurité du village, mais parce que de nombreux propriétaires se méfiant les uns des autres aimaient sans être appelés par leur tour de garde, à voir par eux-mêmes si les sentinelles ne touchaient pas trop aux raisins.
Je t'assure que celui qui aurait voulu y dépiter des murs pour chercher aux escargots, n'aurait su le faire impunément, mais ce n'était pas le bon moment pour cela.

Donc le 28 septembre 92 vers les 4:00 du matin, Pierre Neveux qui montait la garde au riglot de la tour entendit des gens qui accouraient du bois vers lui. Il cria "qui vive", et reconnut bientôt à leur voix Jacques Bertrand et Henri Robin.
Voilà l'ennemi ! Ils sont plus de mille dans le bois. Ils arrivent à la fois par le chemin de Luzy et celui de Stenay.

 Mâtisse ! Dit Pierre Neveux et il prévint ceux de la tour dont faisait partie un des Gobert de Prouilly.

Pendant ce temps, Bertrand et Robin couraient au village faire sonner le tocsin. C'était bien certainement l'ennemi, et tous gens à cheval. On les entendait, mais on ne les voyait pas, outre qu'il faisait noir, le brouillard était épais. Tous nos hommes, d'après l'ordre convenu, se replièrent et ils enlevèrent du grand pont plusieurs planches qu'on avait déclouées à l'avance. Au même moment le tambour battit et le tocsin sonna à l'église, le village était réveillé, on mit aux fenêtres des chandelles et des lampes à coupion (lampe à huile) et d'aucuns se sentirent resserrés, jetés sur (?)
Jean Damery n'en pouvait jamais parler sans avoir froid dans le dos, c'est que l'ennemi c'est la ruine, la désolation la mort peut-être pour vos enfants, pour votre femme, pour vous-même.
Jean-François Lambert, le garde champêtre qui avait assez de caractère et de goût pour les choses militaires, fut d'avis d'enlever aussi des planches au petit pont sur le canal du moulin. De cette façon on était sûr que l'ennemi dont la force disait-on consistait surtout en cavalerie ne pourrait entrer dans le village, mais les gardes nationaux s'échelonnèrent le long de la terrasse du jardin du château, aujourd'hui du presbytère, et jusque dans les bâtiments de l'orangerie où demeure aujourd'hui M. Gobert Malot.
Il y en avait aussi embusqués dans la grange aujourd'hui à M. Guichard-Ravigneaux dont on avait percé la porte de meurtrières, de manière à pouvoir croiser les feux avec ceux de l'orangerie sur les ennemis qui voudraient forcer le pont.
Ceux-ci, à en juger par le rapprochement de leurs voix et du bruit qu'ils faisaient, devaient être arrêtés à la tête du pont, sur lequel ils ne pouvaient s'engager qu'en mettant pied-à-terre et en passant sur les poutres de longueur.
On entendit quelque chose comme la chute d'un corps dans l'eau. Était-ce un cavalier qui tombait dans la rivière ? Puis deux ou trois coups de feu. Était-ce à notre intention ou simplement pour s'éclairer ? Louis Balland et un des Tribut voulaient répondre aux feux, et au même moment on entendit une voix forte comme un tonnerre demander le rétablissement immédiate du passage.

 C'est "notre Monsieur", dirent les uns. "Non, Bridier de Stenay, le chaudronnier" dirent les autres.
 Il paraît que Bridier et M. de Pouilly avaient exactement la même voix.
 Si c'est notre ci-devant seigneur, dit Louis Balland, qui revient avec les Kinserlicks, nous devons tirer dessus.
 Tais-toi, ne bouge pas, fit Jean Ravigneaux, et il lui releva son fusil.
 "Qui-vive" cria le garde-champêtre.
  Pouilly répondit la même grosse voix.

C'était bien l'ancien seigneur et il réclama de nouveau le passage. Devait-on obtempérer ? Les uns consentaient,les autres refusaient. Jean Ravigneaux et Jean Damery furent d'avis de lui accorder en faisant ressortir que nous ne serions pas les plus forts.
"Il est hors la loi" , s'écria Louis Balland, "nous ne devons mie le ragréer".
Le maire ne se prononçait pas trop. A la fin des conseillers décidèrent qu'on allait reclouer les planches. Mais qui se chargerait de l'opération ?
La raison semblait décider Louis Balland, qui était menuisier ; il refusa net, puisqu'il tenait pour la résistance et Pierre Habran et Jean Chauvancy se dévouèrent, prirent les planches et les clous qu'on avait déposés à l'orangerie et refirent le petit pont du canal à la lueur des lanternes.
Ceci n'était encore rien, puisque l'ennemi était de l'autre côté de la rivière, mais ils ne brillaient pas en s'avançant entre les deux ponts. Une demi-douzaine de gardes nationaux les accompagnaient, le fusil chargé et les plus hardis, même des femmes et des enfants les suivaient.

M. de Pouilly, pendant ce temps, s'impatientait toujours. Le jour commençait à venir et on reconnut l'ancien seigneur à cheval, toujours gras et fort, l'émigration ne lui avait point fait tort à la santé. Il avait avec lui une cinquantaine de cavaliers en uniforme mais qui ne paraissaient pas être des kinserlicks comme on l'avait cru. On reconnaissait M. de Saint-Vincent, seigneur de Letanne, M. de Moriol, seigneur de Beaufort et d'autres nobles émigrés de Stenay et des environs.
On sut plus tard qu'ils faisaient partie d'un corps de gentilshommes commandé par le comte d'Artois (depuis Charles X) et le maréchal de Broglie, le grand-père du ministre des mauvais temps du 24 mai 73 et du 16 mai 77. Ils portaient tous un grand manteau bleu avec une croix blanche et dans le dos, comme la maison du roi.

Quant le pont fut refait, sans rien dire à personne, les cavaliers se précipitèrent au grand trot, comme s'ils chargeaient au risque d'écraser les gens et ils furent bientôt dans le village.
Jean Ravigneaux qui avait dit de laisser passer, avait donné aux conseillers l'avis de se rendre dans la salle du château qui servait d'ordinaire aux délibérations et d'y attendre les visiteurs.
Ceux-ci mirent pied-à-terre devant la première porte du château qui était alors, comme qui dirait le presbytère actuel, mais tenant d'un côté à Félix Ravigneaux et de l'autre la grange de Vivier.
Ils entrèrent dans le château et M. de Pouilly en tête, l'épée au côté et leurs pistolets en main. Le mobilier était déjà bien dilapidé et les plus belles boiseries avaient été enlevées. Cependant les panonceaux et des attributs de noblesse sculptés sur les portes n'avaient pas encore été détruits par Noël Arnould. Ce ne fut que plus tard.
Les curieux qui osaient suivre ces gentilshommes les entendaient répéter : "Citoyens, citoyens" d'un air de moquerie. M. de Pouilly haussait les épaules en visitant toutes les salles. Enfin ils arrivèrent à celle où se tenaient les conseillers, pas très rassurés et qui se levèrent à leur entrée.
"Vous savez, syndics, cria-t-il si vous touchez encore une pierre de mon château, je vous jure et je vous déclare que je vous ferai attacher chacun à la queue d'un cheval jusqu'à ce que vous en creviez".
Puis il tourna les talons sans dire davantage, sans demander aux conseillers s'ils étaient contents. Il vit en sortant du château le drapeau tricolore qui flottait en haut du clocher.
La femme Sauvage et un des Gouverneur, je ne sais plus lequel, lui demandèrent s'il voulait accepter un verre de vin. Il refusa. On leur a reproché longtemps cette offre comme étant trop servile.
La troupe de M. de Pouilly remonta à cheval et regagna le bois. Alors seulement on s'aperçut qu'un autre détachement de cavalerie portant grand manteau bleu était posté en observation à la queue de Jeaunet (Jaulnay) au-dessus de la Wame, pour surveiller la route de Laneuville. En voyant M. de Pouilly sortir du village, ce détachement prit le galop, rejoignit la route principale un peu en dessous du calvaire et disparut avec elle dans le bois.
Voilà mon garçon le récit véritable de ce qui s'est passé.



Signé Charles Pilard in  "Journal de Montmédy" le 5 avril 1878.


Ce passage à Pouilly eut lieu huit jours après la bataille de Valmy du 20/09/1792
C'est heureux que les émigrés n'aient pas comme à Voncq (08) le 24 septembre incendié près de 200 maisons, tué des enfants et des civils et emmené 17 villageois en otage, attachés à la queue des chevaux. Ces crimes étaient commandités par le maréchal de camp comte de Clarac, sur l'ordre du duc de Broglie
On ne sait si les de Pouilly étaient de la partie dans cet "Oradour" avant l'heure.
La hargne de ces anciens seigneurs n'avait d'égal que leur déception de n'avoir pu reconquérir ce qu'ils estimaient être leurs droits.
Les Français, Il est vrai, ne les avaient pas accueillis avec l'enthousiasme escompté et les Autrichiens, Prussiens et autres soldats de la coalition, se sentaient bernés par la propagande royaliste française, leur assurant l' accueil dû à une armée de libération.




On peut lire aussi cet article où il est question d'un trésor...


Car Charles Pilard s'interroge sur l'origine de ces pièces et médailles d'argent et d'or.
Il donne la réponse dans cet article. Peut être enjolivé ? Les trésors sont de toutes les légendes...


Journal de Montmédy 22 mars 1878

L'autre soir, mon garçon, je t'ai raconté comme quoi notre ancien seigneur M. de Pouilly, émigré, était revenu en 92 avec plusieurs gentilshommes de ses amis, faire des menaces au conseil municipal et défendre de toucher à son château. Peu de jours après, au commencement d'octobre, la vendange venant d'être faite, notre commune reçut la visite de l'ennemi, c'est-à-dire des Autrichiens ou Kinserlicks, comme on disait.
C'était au petit matin, François Bigot, Claude Normand et Jacques Bertrand, qui avaient passé la nuit dans le bois pour surveiller si l'ennemi venait de Stenay entendirent un bruit de cavalerie en marche sur le chemin qui vient de la Wame, à travers bois et ils reconnurent bientôt un fort détachement de dragons blancs et verts.
Albert Saussette, qui était avec eux, se jeta dans un des grands trous que tu connais et qui passe pour communiquer avec la Meuse, mais eux se sauvèrent du côté du chemin de Luzy et lâchèrent leurs trois coups de fusil pour avertir le village de retirer les planches du pont.
Mais la cavalerie ennemie fut bientôt entrée dans le village. Des dragons coururent à l'église et arrêtèrent le sonneur François Morlet qui sonnait le tocsin, mais ils ne lui firent point de mal et ils empêchèrent de sortir de chez eux les gardes nationaux à qui ils prirent leurs fusils.
D'ailleurs, si on eût voulu résister, c'eût été difficile. Indépendamment des dragons, une colonne d'infanterie arriva une demi-heure après.C'étaient des grenadiers, en habit blanc aussi et coiffés d'une espèce de casques en cuivre, de la forme d'un bonnet de coton dont la mèche retomberait en avant.
Le chef des dragons demanda tout de suite où était le maire et il exigea la remise immédiate de cent livres de foin par bourgeois; foin de l'année, mais non foins de regain ou foins de l'année précédente, mais en bon état de conservation ; de plus 900 livres francs en argent ou or et non en assignats. Le chef parlait très biens le français, on aurait pu le prendre pour un émigré, cependant il ne devait point en être un, les émigrés formant des corps spéciaux.

Pendant qu'on discutait, des hommes se répandaient dans les maisons où il y avait des pressoirs et s'en donnèrent avec le vin nouveau.
Chaque bourgeois apporta son cent de foin au pied de l'arbre de la liberté qui s'élevait sur une petite éminence devant la maison aujourd'hui à M Georges, le buraliste.
La livraison de foin fut bientôt faite, on pouvait facilement y satisfaire, la récolte avait été bonne, mais le conseil déclara ne pouvoir satisfaire à la réquisition en argent, vu que les espèces avaient disparu pour faire place au papier-monnaie.
Le chef autrichien se démenait ; il menaçait de brûler le village. Alors le maire, Ficquet, lui demanda répit d'un quart d'heure, et revint lui apporter une poignée d'or et d'argent.
D'où cela venait-t-il ?
Les anciens du village pourraient te dire que cette somme recueillie à droite et à gauche était composée de vieilles médailles ou monnaies que chacun avait trouvées sur le Châtillon en travaillant aux vignes et qu'on conservait chez soi puisqu'on ne pouvait les mettre en circulation.
La somme était elle suffisante ? Ne dépassait-t-elle pas le chiffre exigé ?
Toujours est-il que l'ennemi s'en contenta et se retira en menant le foin sur des chariots réquisitionnés, qui revinrent le soir de Laneuville sans qu'on eut maltraité les voituriers.

Les comptes de la commune le prouveront, qu'on a en 1793 ou si tu aimes mieux en l'an II de la république, procédé à un remboursement de la contribution en nature mais il n'est nullement question de la contribution en espèces.
Il y a longtemps qu'on trouve au Châtillon des monnaies anciennes d'or et d'argent, mais surtout d'or et j'en ai vu la preuve dans les archives relatives à l'année 1727.




Et notre homme raconte donc ce qu'il a vu dans les archives de 1727 (archives bien sur disparues...)


Le 10 du mois d'avril de cette année-là, le sieur Lamotte, menuisier demeurant à Moulins se présenta le soir à Pierre Lambotin échevin de Pouilly et lui déclara qu'il avait été attaqué sur la route de la Vignette par des inconnus qui l'ont roué de coups et demande justice.
L'échevin, exerçant la haute justice sous M. de Pouilly assisté de son greffier F. Grincourt, maître d'école, appelle en témoignage le 12 avril 1727 tous les individus que le bruit public désigne comme s'étant trouvés à ce moment dans le vignoble.

Jacques Courtois, jeune garçon, fils de Jacques Courtois, vivant vigneron, demeurant à la Vignette âgé d'environ 14 ans, après serment par lui prêté de dire la vérité, qu'il a représenté son exploit d'assignation à lui donné le jour d'hier ; à la requête du dit Lamotte, pour déposer les faits contenus à sa requête, circonstances et dépendances, a dit n'être parent ni allié, serviteur ni domestique dudit Lamotte enquis et interrogé sur les faits dont est question, après lui avoir fait lecture de ladite requête par notre greffier, a dit et déposé qu'étant sous les vignes de Pouilly en dessous des Carrières, étant accompagné du berger de M. de Pouilly, du berger du village et de Pierre Nagnan, pâtre des herbages, ledit Nagnan leur a dit  : "Ecoute, écoute, on crie au meurtre ! "
Et le dit Courtois a vu deux hommes descendre dans les vignes, qu'il n'a pu connaître, qui est tout ce qu'il a dit savoir et contenir vérité. Lecture à lui faite de sa déposition, y a persisté, déclarant ni vouloir ajouter ni diminuer et à signé avec nous et notre greffier et auxquels, ce requérant avons fait taxe de sept sols et six deniers.

Signé P.Lambotin, F.Grincourt



Suivent les témoignages analogues de Poncelet Grincourt, cordonnier, Henri Magoteau, jeune garçon d'environ 14 ans, Jean Lejeune vigneron, Antoine Roussieaux, vigneron, Louis Stévenot le jeune, vigneron, Henry Hannetelle, jeune garçon d'environ 12 ans, Jacques Arnols, maître charpentier etc. qui ont été taxés, les hommes à 12 sols et les enfants à 7 sols et six deniers.
De leurs témoignages il ressort que ce ne serait pas sur la route de la Vignette mais bien sur le Châtillon, en plein vignoble, que l'attentat aurait été commis, attentat dont ils ne sauraient indiquer ni le but, ni les auteurs.
 
Le 14 avril, déclaration du fermier de Soiry, que le meunier de Malandry, revenant de pouilly le 10 au soir où il était allé conduire des moulages sur son chariot était lui aussi à moitié assommé, sans pour cela qu'il se soit plaint à la justice.

Comment expliquer cette coïncidence ? Le meunier de Malandry et Lamotte prétendent avoir été attaqués sur la route par des hommes et des femmes, tandis que tous les témoins persistent à dire qu'on a crié "au meurtre" sur le Châtillon.
Le procureur fiscal en bailliage du Clermontois, Debeyne en jette, comme on dit vulgairement sa langue aux chiens et déclare le 18 avril qu'il n'y a lieu de décerner aucun décret contre les quidams.

Mais voici autre chose : le bruit public accuse Tribut L'ainé et Pierre Sauvage d'avoir dit qu'on avait bien fait de battre Lamotte et le meunier de Malandry, qu'ils n'avaient qu'à rester chez eux et à ne pas tant s'émouvoir du trésor et que les dits forains doivent rester dans leur communauté.

De nouveau, l'échevin Lambotin ouvre ses assises et fait comparaître Tribut et Sauvage, mais ne peut les punir pour des paroles en l'air.
Quoi qu'il en soit, ces dires de 1727 font voir qu'on croyait alors à l'existence d'un trésor caché dans les flancs du Châtillon, que les habitants de la commune en étaient jaloux et le fait du paiement aux Autrichiens en 92, prouve qu'il y avait beaucoup de vrai.
Lorsque M. Jeantin, défunt président du tribunal de Montmédy est venu à Pouilly pour chercher des renseignements utiles à ses "Annales de la Meuse" il a parlé tout à fait dans ce sens.

Ainsi donc, mon garçon quand tu iras aux escargots, cherche bien, sans pour cela dépiter les murs d'autrui et bonne chance.

Signé Charles Pilard in  "Journal de Montmédy" le 5 avril 1878.




Et alors ce trésor ?


En fait, la fiction dépassa 200 ans plus tard la réalité, puisque en novembre 2006, il fut trouvé à Pouilly un trésor considérable mais pas du tout en monnaies comme raconté ci-dessus, ce qui n'exclue pas la possibilité d'un autre...

Lire le trésor de Pouilly



Et pour en finir avec ce Pouilly...


La famille ne remit plus les pieds au village.

Si ce n'est quelques 200 ans plus tard où certains du village furent ébaubis de recevoir les descendants de "Not ' Monsieur..."
Les articles qui ont couronné cette visite sont significatifs de la soumission "passive" de "nos gens" après bien des années à excuser la noblesse. Le curé Gary en fut...(Le sabre et le goupillon sans doute ?)

Lors de la restauration et la possibilité pour les immigrés de rentrer dans certains de leurs droits (le fameux milliard !) on ne trouve pas trace des de Pouilly. Seules deux filles d'Albert Louis de Pouilly ont tenté de faire valoir leurs droits.

Le dernier fils devenu comte Louis Emmanuel Mensdorff Pouilly, continua sa carrière en servant l'Autriche et contre la France...

Leurs alliances matrimoniales firent qu'on retrouve ses rejetons auprès de toutes les cours d'Europe (Angleterre, Belgique, Hongrie, Autriche etc.)
Ce qui explique sans doute le peu d'intérêt  pour  la bâtisse de Pouilly.
Et qui entre temps était passée en d'autres mains. Voir les ventes de biens d'émigrés



Ultime désintéressement de cette famille française envers la France et ses cousins :

Quand la première guerre éclata, M de Pouilly de Cornay fut fait prisonnier. Sa famille eut recours à l'Autriche pour le faire libérer, mais les descendants de Pouilly ne répondirent même pas.
Il est vrai que leurs branches étaient dissociées depuis le début du XVI ème et s'étaient bien battues au moment des guerres de religion.
(Je tiens cette information de Mme de Pouilly de Cornay qui en ressentait encore un peu d' amertume.)


On peut lire la généalogie des Mensdorff-Pouilly