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la gareLa gare de Pouilly

La ligne Lerouville-Sedan



La gare et la ligne de chemin de fer, Lerouville-Sedan.


Au XIX ème siècle l'invention de la machine à vapeur, et particulièrement de la locomotive, va bouleverser la vie de nos ancêtres.
Jusqu'alors, on se déplaçait à pied, à cheval, en coche d'eau ou autres diligences.
Les trajets étaient longs, les routes plus ou moins sûres et  entretenues.
Le rail va changer les habitudes. On ira sans difficulté à la préfecture, à la capitale, voir ses proches, à l'armée au bout de la France, chez le médecin tout simplement ou bien vendre ses produits à Stenay ou Verdun.
Cette conquête qui n'a peut être pas le prestige de celle du cheval, ne s'est pas faite sans douleur.
La peur de la nouveauté, le passage des tunnels, les premiers accidents ont effrayé non seulement les villageois, mais aussi des  personnages illustres comme Arago ou Théophile Gautier.
L'église même met en garde ses fidèles contre "...cette invention qui risque de précipiter le déclin de l'homme. Celui-ci imite Dieu, mais c'est une invention diabolique qui voit le jour etc.".

Le premier accident eut lieu à Meudon le 08/05/1842 et fit 55 morts, mais ne remit pas en cause l'engouement pour ce nouveau moyen de transport.
Cette explosion de nouvelles voies marqua un arrêt en 1914, mais la densification était déjà très importante.
La carte du Chaix, (la référence en terme d'horaires), sur la période 1914-1930 nous le prouve. Mais ce réseau est peu rentable, ce qui amènera la nationalisation sous la forme que l'on connait, la SNCF.

Pour Pouilly ce fut l'arrivée au village d'ouvriers chargés de construire la voie, puis de chefs de gare, d'employés divers et leurs familles.
Pour certains habitants ce fut l'occasion d'une reconversion. De manouvrier on devint cantonnier de voie, de journalière ou sans profession, on devint garde barrière !
Et puis des gens vinrent de la ville à la campagne, à la pêche ou voir leurs parents restés au village.
Les potins, la mode, la politique se répandirent à la vitesse du train.



L'étude de 1855

Une étude est parue en 1855 concernant le trafic entre Lerouville et Sedan. (AC Stenay)

De Sedan à Lerouville, 104 km
"Les communications se font presque exclusivement par la route impériale no 64. Elles empruntent aussi, mais dans un faible parcours, la route impériale no 47 et les routes départementales no 1 et 9 dans la Meuse.
Voyageurs.
En diligence 657470 voyageurs.
En voitures particulières 478150
A cheval 637000
A pied 6751177

Marchandises
Roulage lointain 2385726 tonnes.
Roulage local 3668585

Bestiaux
Bêtes de somme 171185  têtes
Gros bétail 794 970
Menu bétail.370840



La ligne Sedan-Lerouville

Dés 1847, le budget de Pouilly précise que la commune a participé pour 50 fr aux frais d'étude du projet d'un chemin de fer. (AD55 3 O 821)
Pour la ligne qui nous intéresse, on peut résumer son histoire comme suit :

Une série de décrets en date du 19/06/1868, déclarent d'utilité publique les lignes de Lerouville-Sedan (141 km) et d'autres... (Bulletin des Lois 2ème semestre 1868, no 1628, page 321 et suivantes)
La concession de cette ligne date du 09/07/1869. (BL 2ème semestre de 1869 Tome XXXIV no 1726 à 1773 page 284 et 285)
André Lebon et Édouard Otlet en sont les adjudicataires sur le papier mais en fait prête-nom d'un financier belge, Simon Philippart.


adjudication 1869


Cette adjudication fut approuvée par décret du 21/08/1869.
La ligne ne fut construite qu'après la guerre de 1870, en fait dés le départ des troupes prussiennes en 1873.
Par décret du 12/08/1874 et suite à un accord passé le 18/11/1873, la Compagnie des Chemins de Fer de Lille à Valenciennes, dirigée par Philippart, se substitue aux concessionnaires et crée une filiale, la Compagnie du Chemin de Fer de Lérouville à Sedan.
La Compagnie des Chemins de Fer de l'Est, créée en 1853, est chargée de la construction et de l'exploitation de la ligne.
Elle fut installée du coté gauche de la Meuse, pour d'évidentes raisons stratégiques. Ce choix explique le parcours sinueux de cette ligne le long des méandres de la Meuse et certaines rampes atteignent par endroit 10 mm/m.
L'accueil de cette ligne créa quelques tensions avec les paysans et propriétaires, qui furent expropriés et qui craignaient pour la tranquillité du cheptel.
A Pouilly, cette construction fut à l'origine de l'immense trou, sur la droite de la route de Pouilly à la Wame, dans le virage en dessous de la croix. L'entreprise avait besoin de remblais et demanda à la commune pour en prélever à cet endroit.
Cet "emprunt" (et le nom lui est resté) fut source de problèmes de sécurité et un mur dut être construit pour empêcher les accidents. Ce mur n'existe plus.
A noter aussi que le lavoir alors situé sur l'île devant le petit pont, était alimenté par la source dite de Pouilly ou source du bois.
Pour poser les voies le tuyau d'amenée d'eau fut coupé et le lavoir vide. Ce fut donc l'objet de contestations en tout genre pour réhabiliter cette adduction d'eau. (AD55 46 S 20)

Mais la construction de la ligne ne fut pas simple et un rapport du 22/05/1875, nous renseigne sur l'évolution des travaux.
"Par une délibération en date du 21/10/1874, le conseil général de la Meuse a émis le vœu que la ligne entière de Lérouville à Sedan fut exécutée dans le délai prescrit par la concession du 21/08/1869.". C'est à dire 6 ans ce qui donne une date butoir au 21/08/1875.
Le rapport ajoute : "...il est certain que la ligne ne sera pas achevée à cette époque. Mais ce retard n'est pas seulement imputable à la compagnie. La guerre lui a fait perdre plus d'une année...". Et d'expliquer que le département des Ardennes a mis quelques obstacles à la réalisation de cette voie.
Si les travaux de Verdun à Sedan sont bien avancés, pour ceux de Stenay à Sedan, "...ils sont beaucoup moins avancés car il reste encore à attaquer quelques massifs importants de terrassement sur des terrains dont la compagnie ne pouvait prendre possession avant la décision ministérielle du 18/12/1874 etc."
Le rapport conclut : "Nous croyons plus prudent de dire franchement que l'ouverture de la ligne entre Stenay et Sedan nous parait sinon impossible du moins difficilement réalisable cette année et n'aura lieu, suivant toute probabilité qu'au commencement de la campagne prochaine."

En définitif la section Verdun-Dun / Doulcon fut inaugurée le 22/11/1875, Dun/Doulcon-Stenay le 21/02/1876, et Stenay-Sedan le 12/08/1876.


Quelques remous...

Un décret du 12/08/1874 (B L 2ème semestre 1874 , no 229, page 497) avait ratifié le traité de cession de la concession Lerouville-Sedan à la "Compagnie de Lille à Valenciennes" de Simon Philippart.
Mais rapidement Philippart rencontra des difficultés financières et souhaita se débarrasser des lignes peu rentables. L'état racheta donc la concession en 1879 et en céda l'exploitation à la "Compagnie des chemins de fer de l' Est".
Les péripéties de ces échanges sont assez fastidieuses à résumer et n'apportent pas grand chose à l'histoire de Pouilly. On peut cependant les rechercher dans les "Bulletins de Loi". (Voir Gallica ou archives)

Le 20/12/1882, en séance publique, le conseil de préfecture du département des Ardennes et vu le mémoire du 28/02/1882 nous apprend :
"...lors de la construction du chemin de fer de Sedan à Lérouville, la Cie avait fixé à Pouilly la station devant desservir les localités situées entre Mouzon et Stenay; que lors de l'enquête, la commune de Beaumont sollicita la création d'une station plus rapprochée et établie à Letanne et que pour décider la compagnie à construire cette station qui était un surcroit de dépense, la dite commune de Beaumont s'engagea par délibérations de son conseil municipal en date du 25/03/1873, à verser entre les mains de l'entrepreneur général des travaux de la ligne, dans le courant de l'année qui suivrait la mise en exploitation, et sans intérêts jusque là, une somme de 20 000 francs à titre de subvention.".
S'en suivent plusieurs pages d'attendus, de considérant que... etc.
Et finalement la commune de Beaumont refusa de prendre en charge cette dépense et obtint gain de cause. (AC Stenay)




Une ligne touristique.

La ligne est suffisamment fréquentée pour qu'elle apparaisse dans les guides touristiques de l'époque.

Paul Joanne, dans "Vosges, Alsace et Ardennes", page 305, Hachette 1883, décrit la ligne de Charleville à Nancy en passant par la ligne Sedan-Lerouville. Au passage ce guide donne des informations historiques sur les villes traversées. Ainsi pour la gare de Letanne-Beaumont, un petit article retrace la malheureuse bataille de 1870.

Pouilly est cité :
"31 km. Pouilly 503 h. La voie ferrée, décrivant une grande courbe, contourne la forêt de Jeaunet (sic)."

 Dans la même veine, "Le nord est de la France Manuel du voyageur" par Karl Baedeker Leipzig 1903, reprend les mêmes renseignements.



Sa destinée après la première guerre.

En 1914 les Allemands s'en servent pour approvisionner le front de Verdun
En 1918 lors de leur départ ils détruisent la gare.
En 1919 deux petits bâtiments en bois servaient de bureaux. (d'après Jean Guichard ancien maire). La gare ne sera reconstruite qu'en 1922.
Par contre la ligne Verdun-Sedan est rétablie en 1919 par les Américains, en construisant des ponts provisoires. La compagnie de l'Est reprit alors son rôle et procéda à la reconstitution définitive des lignes.
"Le programme des travaux qui fut élaboré tout d'abord, impliquait l'emploi, à cette époque indispensable, puisqu'il s'agissait avant tout d'agir vite, d'une main d'œuvre importante mais des plus disparates : Portugais, Espagnols, Italiens, Polonais, Russes et même Nord-Africains et Asiatiques. L'un des gros problèmes fut le cantonnement de tout ce monde. Les entrepreneurs durent édifier des baraquements pour dortoirs etc." ("Reconstitution du département de la Meuse", 1928 page 105).

Les trains sont tractés pendant l'entre-deux guerres par différentes séries de machines de l'Est : 30.000 (130-A et B), 3400 et 3500 (230-A et B), 4000 (140-A) et 40.000 (140-B et G américaines).
Le 01/01/1938, tous les réseaux sont nationalisés et regroupés sous la SNCF. (Société Nationale des Chemins de fer Français).

En mai 1940, l'avancée allemande provoque l'arrêt du service, puis la reprise d'une exploitation militaire sous le contrôle de la Deutches-Reichbahn. Le 14 juillet, la SNCF reprend possession de la ligne Lerouville-Verdun, puis le 18/08 la ligne jusque Sedan.
En décembre 1940 et au cours de l'année 1941, un express Bruxelles-Nancy est acheminé via Sedan et Lérouville.

Après la guerre, le service autorail Charleville-Commercy reprend, mais les petits "autorails Est" qui n'ont pas survécus aux hostilités sont remplacés par des appareils De-Dietrich de 210 Cv X-42 100 puis de 300 Cv X-3800 du centre de Mohon.

Le 26/05/1959, le trafic voyageurs est définitivement arrêté. C'est une micheline de type Picasso qui assurait ce service.
On pouvait dans la journée se rendre à la préfecture de Bar-le-Duc et revenir le soir même.
Si un service de bus (Les rapides de la Meuse), tenta de palier cet abandon de la desserte, il fallait pour les gens de Pouilly, aller le prendre à Inor ou Moulins.
Quelques trains approvisionnèrent encore quelques années durant, la papèterie de Stenay, la forge etc. Mais ce trafic arrêta en 1987.
Entre 1991 et 2000, une micheline de type Picasso a servi en été au transport de touristes entre Mouzon et Stenay.
Et désormais la ligne est abandonnée, la gare est devenue une maison d'habitation, tout comme la halle à marchandises.
En 2016, il est question de prolonger la "voie verte" qui va de Givet à Remilly par la voie ferrée. Cette voie de tourisme pour deux roues et piétons, emprunte normalement l'ancien halage. Mais celui-ci étant trop dégradé, l'ancienne voie pourrait le remplacer. Affaire à suivre.

On comptait à Pouilly trois barrières, généralement gardées par des femmes.
En venant de Stenay, il y avait celle proche de la ferme de Prouilly, celle proche de la gare et celle de la prairie coté Wame.




Et que transportait-on ?

Du charbon, de la chaux, du bois, le courrier bien sûr et autres colis.
La ligne transportait aussi les voyageurs, les militaires (Sedan, Stenay, Verdun étaient de gros centres de l'armée)
Le service des pompes funèbres utilisaient  le rail pour rapatrier les corps des soldats, mais aussi des civils.




Quelques accidents

Je n'en ai pas trouvé beaucoup.

Le journal "L'indépendant rémois" du 23/04/1890 page 3/4 nous apprend :
"M. Joseph Collard, âgé de 69 ans, manouvrier à Pouilly, dont la femme est garde-barrière sur la ligne Lérouville-Sedan, se rendait ces jours derniers dans les champs, de l'autre coté de la voie.
Ce malheureux, atteint de surdité, n'entendit pas le bruit du train no 34, qui arrivait, allant à Sedan; il sauta la haie bordant la ligne et voulut traverser la voie, mais il fut tamponné par la machine, eut la tête fendue, une main et un pied écrasés.
On le releva et il fut transporté à son domicile, mais à peine posé sur son lit il expira."

"Le Petit Journal" du 18/05/1906 relate un évènement qui aurait pu tourner mal : "Un sergent fourrier du 153e RI, qui se trouvait dans un train miltaire, ramenant à Verdun ses troupes qui avaient été détachées aux grèves du Nord, est tombé sur la voie, pendant que le convoi était en marche, entre Letanne-Beaumont et Pouilly. On tira la sonnerie d'alarme et le train stoppa ; les employés qui allèrent relever le sous -officier qu'ils croyaient mort furent stupéfait de voir qu'il ne portait aucune blessure etc."

Le courrier de la Meuse en 1908, fait état d'une vache tamponnée. "Le train de voyageurs venait de quitter la gare de Pouilly à 6:10 du matin quand en face de la ferme de la Wame, une vache de M. Nivoix, traversant la voie, a été heurtée par la locomotive et rejetée dans le fossé. L'animal a été abattu et livré à la consommation".

Pus prés de nous, Michel Hablot, fermier à Prouilly, traversant la voie sur son tracteur, se fit tamponner par le train de marchandise en 1963. Il survécut mais peu de temps et décéda le 11/06/1964.

Et le sabotage de la voie par deux "résistants" qui fit dérailler un train allemand. Ce train n'avait rien de stratégique puisqu'il transportait des blessés. L'occupant fouilla le village et Pierre La Marle qui n'y était pour rien, fut embarqué le 27/01/1944. Il ne devait pas revenir. Une action glorieuse !

Enfin pour l'anecdote :

Le 15/01/1927 à 9:00, Louis Eugène Bocquenet, chef de station à Pouilly, en procédant à la fermeture d'une porte de wagon qui résistait, celle-ci ayant cédé brusquement, a eu le pouce droit écrasé. Il en résulte un abcès profond du pouce en question. (Accident déclaré le 18/01). Gabriel Picard, facteur mixte en est le témoin.

Le 18/11/1930 Charles Alphonse Lardenois, cantonner de 33 ans, demeurant à Pouilly, procédant à la tonte des haies a été piqué à la jambe gauche par une épine. Sur la déclaration de Charles Huet, chef de district à Mouzon. Ont été témoins, Siméon, chef de canton demeurant à Pouilly et Abraham cantonnier à Letanne.