maison Delattre apres 2eme guerreLa maison Rambourg

La maison d'un musicien... D'après René Guichard.



La maison Rambourg d'après René Guichard

Juillet 1940

Enfin le mystère était levé !!

Pendant le mois précédent, deux obus français de gros calibre, bien ajustés, avaient eu raison des portes et fenêtres et d'une partie de la muraille de la maison d'angle en bas de la rue de la Cure. Les murs éventrés laissaient enfin apercevoir ce qui avait tant aiguisé notre curiosité pendant les années d'avant la guerre :

Les fenêtres de cette bâtisse austère étaient rarement entrebâillées, jamais ouvertes sur la rue, mais il s'en échappait à tout moment des notes de piano ou de violon… Ces gens là étaient donc des artistes ! Des musiciens ! Professeurs en retraite, venus de Sedan autour des années 1920. Le cousin Louis Bizon, lui aussi violoniste, retraité, faisait partie de leur groupe. Ils se réunissaient souvent pour des répétitions ou en concert privé et leur musique s'envolait dans la rue, intriguant les passants.
Etrange musique, airs inconnus, instruments mystérieux. (Aucun rapport avec l'harmonica, le pipeau, ou l'accordéon des bals de fêtes du village).
C'était du Mozart ou du Bach, voyons ! Pauvres ignorants de paysans incultes !
C'était une autre planète !

Les brèches des obus avaient dévoilé le secret de bien triste manière. Le piano avait craché ses dents blanches sur le tapis du salon et sur le parquet au milieu des
gravats. Les partitions jonchaient le sol parmi les chandeliers renversés, les cadres et les photos jusque sous les fauteuils de velours cramoisi encore recouverts de
napperons de dentelle fine.
Un cadre restait suspendu cependant, accroché de guingois. Les photos joyeuses jaunies et fatiguées des années 20 s'étaient effondrées dans le bas du cadre, retenues par la vitre brisée en croix.
Hé oui ! Il fallait bien faire une croix sur cette période heureuse et insouciante du Charleston et du jazz qui arrivait jusque dans le fond des campagnes ! Les 155 longs
de l'armée française en déroute s'en étaient chargé !
Les Rambourg, emportés comme tous par la débâcle et l'exode de mai 40, ne sont jamais revenus et ont disparu dans la tourmente. (Emmenés en Belgique par les
Allemands ?).
Ils n'ont jamais constaté le désastre de leur petit univers fermé. (Note : Claude Garin dit qu'ils sont bien revenus et ont fait réparer la maison. D'ailleurs il est décédé à Pouilly le 06/02/1950).

affiche theatre Rambourg



Pourtant leur passage à Pouilly n'est pas passé inaperçu. Ces braves artistes créaient et animaient une sorte d'association locale rassemblant les jeunes de Pouilly
et organisant chaque hiver des représentations théâtrales et des séances de cinématographe. Muet.bien sur ! Charlot y était accompagné d'un phonographe poussif mais il attirait la foule même au fin fond de la Sibérie Meusienne. La magie opérait à chaque fois !

Le théâtre était plus soigneusement élaboré : pièces (comiques troupiers), chansons et monologues à la mode de cette époque, Déroulède, Draneau ou Ouvrard.
« j'ai la rate qui s'dilate…etc. » ou bien « On Purge Bébé », voire des parodies comme les pratiquaient alors les chansonniers de l'époque sur Blum, Daladier et autres  célébrités dont un m'est resté en mémoire Pierre Étienne Flandin aujourd'hui disparu à jamais dans le gouffre de l'histoire de la 3e République…
Sic transit gloria mundi !

Ce répertoire très varié nécessitait des répétitions nombreuses et secrètes durant une partie du long hiver pour s'épanouir dans la salle de la mairie quand tout était au point.
Il faut croire que cette association dégageait quelques bénéfices, car après cela, les participants, acteurs, bénévoles et autres effectuaient un voyage.
Il m'en reste deux à l'esprit : Bouillon et Luxembourg etc.
Depuis d'autres frontières passées, d'autres découvertes, d'autres désastres !
La maison des Rambourg a été réparée et les transistors ont remplacé le violon brisé, mais la vision de l'antre de Chopin est restée marquée dans l'esprit et les pizzicati de Beethoven reviennent souvent avec nostalgie aux oreilles de l'émigré.