Jacquet en 1421
Quel était le patronyme de ce personnage ? On ne sait pas. Jacquet Mauvais ou Jacquet dit le
mauvais ?
Donc pour nous ce sera Jacquet tout court.
Tout court à double titre car il fut décapité à Stenay le 05/04/
1421
Mais pour quelle raison ?
C'est ce que nous allons voir.
Pour cela lisons ce qu'en dit
Denain, notre historien de Stenay.
" Les troubles qui depuis la bataille d'Azincourt (
1415
) n'avaient cessé d'agiter la France s'étaient répandus dans le
Verdunois qui avait alors le cardinal pour évêque, dans le Barrois, le
canton de Stenay et dans le Luxembourg, par différents gens d'armes les
uns tenant pour le dauphin, les autres pour les Anglais et les
Bourguignons.
Élisabeth De Goerlitz, duchesse de Luxembourg qui n'aimait pas
René souffrait (admettait ) que des Bourguignons à son service vinssent faire des dégâts dans le comté de Stenay.
En effet les nommés Raphaël de Tartonne et Antoine de la Prée qu'elle
avait établis capitaine commandant à la Ferté, village à deux lieux de
Stenay étaient venus s'emparer des châteaux de Pouilly d'où portant
leurs vues sur Stenay même, ils engagèrent Jacques le mauvais
maire de ce village, comme ayant des connaissances dans la ville à leur
livrer.
Mauvais, d'effet comme de nom, vint effectivement corrompre quelques
habitants par le moyen desquels plusieurs compagnies de la garnison qui
s'était laissées débaucher, devaient quitter et se rendre à Pouilly par
le chemin de la ferme de La Wame.
Les grandes fréquentations de Mauvais dans la ville et ses pratiques,
l'ayant rendu suspect, le firent arrêter dans le village de Mons
et conduire dans les prisons de Dun, comme plus voisines, d'où Jean de
Walle, prévôt de Stenay à la réquisition des seigneurs de Pouilly le
fit amener et enfermer dans le donjon de la ville.
Après quoi Alexandre de Landres,
Aubertin de Pouilly l'ainé,
Guillaume
et
Aubertin ses enfants, Raulin de ville, fils ou parent à Husson de
Ville, avant-dernier prévôt de Stenay, tant pour eux que pour Aubry de
Landres, Husson de ville, Thomas d'Arteis, Henry de Triconville, Gérard
de Mansues, Jean de Bianges et les héritiers de Jean de Mouchon leurs
coseigneurs à Pouilly, requirent auprès Jean de Walle, étant en
jugement, assisté de Ponsardin de Boulain, Pierre de Quincy, Renaud de
Belu, Colar Bonnefu, Henri Colliquart, Alexandre Duilly, Jehan de la
Praele, Jean Bracon, Jean Prinet, Jean de la Charmois et Jean de
Rarecourt, tous censiers hommes de fiefs au comté de Stenay, de leur
remettre Jacques comme leur justiciable pour le punir ou pour
l'absoudre.
Ce qu'ayant été fait du consentement de Perin Thomas, procureur de René
et clerc juré, Jacques qui vit sa punition inévitable, confessa sa
trahison, pour laquelle, attendu que les ennemis étaient maîtres de
Pouilly, il fut exécuté devant la halle, puis coupé en quatre et ses
membres furent attachés à des potences sur les chemins de la ville.
Ainsi finit le 5 avril 1421 cette conspiration qui manqua de priver René de la ville de Stenay. ".
Quelques explications
On est en pleine guerre de cent ans.
Au début de 1421, le duché de Bar où règne René 1er depuis l'année
précédente, sous la tutelle de son beau-père Charles II duc de
Lorraine, se trouve menacé sur ses frontières, et particulièrement dans
notre région.
Elisabeth de Goerlitz favorise les entreprises de bandes de routiers,
dont les chefs convoitent la place forte de Stenay. Ils sont à Pouilly
et les seigneurs du lieu, ont dû se retirer à Stenay.
Mais qui était cette
Elisabeth De Goerlitz ? Elle était la fille de Jean de Luxembourg, duc de Goerlitz, et de Catherine de Mecklembourg-Schwerin.
Elle était aussi la nièce de Wenceslas II, duc du Luxembourg qu'il lui
céda pour assurer sa dot lors de son mariage avec Antoine duc de
Brabant et de Limbourg, mais aussi de Bourgogne.
Nicolas Tilliere nous apprend que "...Le duc Antoine racheta, de
mauvaise grâce d'ailleurs, à la princesse d'Orléans les places de
Montmedy, Yvois, Damvillers et Orchimont, que le duc d'Orléans son mari
avait eu en engagère. "
Antoine fut tué à la bataille d'Azincourt le 25/10/1415. Elle se
remaria avec Jean de Bavière fin 1418 "...qui en 1390 à l'âge de 17 ans
avait été nommé évêque de Liège et avait signalé son épiscopat par des
actes inouïs de cruauté...". Tilliére ajoute que "son choix n'honore ni
sa dignité ni son cœur..."
On pourra lire "Chiny, mille ans d'histoire"
Recueil de travaux publiés à l'occasion du millénaire du comté de Chiny pour essayer de démêler cette histoire. (page 15)
Et
René ? Lui c'est René
d'Anjou ou de Naples ou de Sicile. Il est le fils de Louis II d'Anjou
et Yolande d'Aragon. A la mort de son père il reçoit la terre de Guise
dans l'Aisne. (Cette terre avait été amenée en dot par Marie de Châtillon en 1334 à son mariage avec Raoul, duc de Lorraine.)
Les Anjou sont partisans du dauphin (futur Charles VII)
Le duc de Bedford, régent au nom du roi d'Angleterre Henri VI,
confisque leurs possessions au nord de la Loire et attribue Guise à
Jean de Luxembourg le père de notre Elisabeth... Voilà l'origine de
leur inimitié...
Pour la partie privée car les motifs sont plus vastes et plus politiques.
Il se fait arrêter à Mons nous dit Denain. Il s'agit sans nul doute de Mont
devant Sassey, ce qui explique qu'il ait été conduit dans la prison de
Dun toute proche.
5 avril 1421,
Arrêt de l'exécution de Jacquet le
mauvais maire de Pouilly décapité à Stenay pour avoir conspiré et voulu
livrer la ville aux ennemis.
À tous ceux qui les présente lettres verront et orront Jehan de Walle gruyer prévôt de Sathenay Salut.
Comme Jacquet le mauvais maire demeurant en la ville de Paouilly comme
bourgeois et sujet en tous cas criminels et civils des seigneurs de
ladite ville qui en mouvant de fief est du ressort et commanderie du
castel et châtellenie de Sathenay fut naguère par les prévôts et
seigneurs de Dun esté pris en la ville de Mons en la prévôté du dit Dun
le Chastel et amené prisonnier audit Chastel de Dun pour occasion
d'être soupçonné est renommé d'avoir vendu la ville du dit Sathenay et
icelle voulu délivrer à Raphaël de Tartonne et Anthoine de la
Prée,capitaines de la Ferté et ennemis du duché de Bar le mercredy
après Pâques vieux dernièrement passé,
et comme (?) est renommée commune était en la ville et au pays
environ et depuis la prise et détention dudit Jacquet étant es prisons
de Dun, eussent les dits seigneurs de Paouilly fait requérir audit
prévôt de Dun qu'il leur rendit leur bourgeois et sujet pour le
justicier (?) au cas appartiendrait, de quoi le dit prévôt de Dun eut
été refusant et en demeure et , et depuis et après les dits refus et
requêtes des dits seigneurs de Paouilly, eussent fait requérir par les
seigneurs dudit Sathenay et prévôt de Dun que dit Jacquet me fut rendu
au prévôt de Sathenay pour en faire ce qu'il appartenait, pour raison
de quoi le dit prévôt de Dun eut obtempéré et rendu à moi le dit
Jacquet chargé des cas dont il était soupçonné et accusé tant d'avoir
vendu ladite ville de Sathenay avec autres au dit Sathenay, comme aussi
d'avoir vendu plusieurs compagnies d'armes de la garnison dudit
Sathenay...
... et de la ville à la capitainerie de Paouilly, ennemis du duché
de Bar auxquels il les devait délivrer si (?) ou disait s'ils fussent
allé par (?) de Wame où il les avait admonestés et encortés
d'aller
A savoir est que aujourd'hui troisième jour d'avril 1421, ledit Jacquet
mauvais maire étant prisonnier au donjon dudit Sathenay en la prison de
haut et puissant prince, mon très redouté seigneur Mgr le duc de Bar,
marquis du Pont, comte de Guise et de mon très redouté seigneur Mgr le
duc de Lorraine et marchis Mainbour et ayant le bail es gouvernement de
mon très redouté seigneur Mgr le duc de Bar sont venus et comparus en
leurs propres personnes en jugement par devant moi et plusieurs des
hommes de justice de la prévôté, étant avec Perrin Thomas procureur et
clerc juré de la ville et prévôté dudit Sathenay, les seigneur dudit
Paouilly.
C'est à savoir Alexandre de Landres, Aubertin de Pouilly le vieil,
Wille (Guillaume) et Aubertin ses enfants Raulin de Ville, tous
écuyers, lesquels tant en leurs noms comme es noms de Messire Aubry de
Landres chevalier, Husson de Ville, Thomas d'Arteis, Henry de
Triconville, Gérard de Mansues, Jehan de Bianges et des héritiers de
feu Jehan de Mouchon écuyers seigneurs par indivis hauts justiciers,
moyens et bas de la dite ville de Paouilly, lesquels m'ont instamment
requis que je leur rendisse ledit jacquet leur bourgeois et sujet en
tous cas criminels et civils, chargé des cas pour lesquels était détenu
prisonnier en ladite prison de Sathenay pour icelui justicier et punir
au cas xxxxx ou absolu s'y trouvé était pur et innocent des dits
cas dont il était accusé est soupçonné.
Après laquelle requête ainsi par eux faite à moi par le conseil et avis des hommes de fief de ladite prévôté étant au siège,
c'est à savoir Ponsardin de Boulain, Pierre de Quincey, Renaud de Belu,
Colard Bonnefit, Henry Colliquart, Alexandre Duilly, Jehannot de la
Praele, Jehan Brachon, Jehan Prinet, Jehan de la Chermoye et Jehan de
Rarecourt écuyers et du consentement de Perrin Thomas procureur et
clerc juré dudit lieu, le dit Jacquet ...
... Mauvais leur fut rendu comme leur
bourgeois, sujet et justiciable en tous cas, pour en faire ce qui au
cas appartenait par raison et pour lequel dit jour icelui Jacquet fut
trouvé coupable dudit cas dont il était soupçonné et accusé et que en
dite prison de monseigneur lesquelles avaient prêtées audit seigneur de
Paouilly icelui Jacquet confessa pleinement lesdits cas et comme
lesdits seigneurs de Paouilly l'affirmèrent en moy suppliant que je
leur prêtasse lieu place ad ce pour le juger selon ses démérites et
aussi pour le faire mettre à exécution en la ville et en la justice
dudit Sathenay pour ce que pour doubte des guerres de présent estant au
pays et aussi que les trois fortes maisons audit Paouilly estoient es
mains des ennemis audit duché de Bar, pourquoi ne le peut mener en leur
haute justice pour doubte des dits ennemis.
Je en considération ad ce que dit est dessus par les conseils des dits
hommes de fief et par consentement dudit procureur et clerc juré, ai
donné et octroyé congé et licence aux dits seigneur de Paouilly de
faire exécuter et décapiter ledit Jacquet le mauvais maire en ladite
ville de Sathenay devant la halle et les membres, de les mener et
prendre en la haute justice dudit Sathenay en la maison accoutumée et
iceux pendre à quatre crosses sur les chemins publiques autour de la
ville dudit Sathenay pour exemple à tous. Et tout ce, sans préjudices
aux dits seigneur de Paouilly à leur hauteur et seigneurie qu'ils
ont en ladite ville de Paouilly, ban et finage, ni à leur ayant cause
au temps advenir, de toutes lesquelles choses et chacune d'icelles les
dits seigneurs de Paouilly ont requis pour avoir mes lettres pour eux
valoir ce que de raison dans et au temps advenir et lesquelles je leur
ai octroyées par la manière dessus dite.
En témoin de ce, j'ai scellé les présentes de mon propre scel ...
...et avec ce ai
requis ceux dessus nommés Ponsardin de Boulain, Pierre de Quincey,
Renaud de Belu,Colard Bonnefit, Henry Collinon, Alexanre Duilly,
Jehannot de la
Praele, Jehan Drachon, Jehan Prinet, Jehan de la Chermoye et Jehan de
Rarecourt les écuyers hommes fieffés de ladite prévôté qu'il
appendissent leurs scels à ces présentes et Perin Thomas procureur et
clerc juré dudit lieu, qu'il y mit son signet manuel en signe de
vérité. Et nous tous dessus nommés qui avons été Jehan de Walle prévôt
dessus nommé et qui a par notre avis et semblant à faire les choses
dessus dites avons mis et appendu nos sceaux à ces présentes lettres ce
que raison dont a. Et moi Perin Thomas procureur et clerc juré audit
lieu, témoigne les choses dessus dites de mon consentement avoir été
ainsi faites et à icelle mis mon signet manuel en signe et témoignage
de vérité qui furent faites l'an de grâce 1421 le samedi cinquième jour
d'avril, Signé Perin avec paraphe.
Denain ajoute la description du parchemin qu'il a eu en main :
Au bas sous douze lacs ou queux de parchemin qui portaient les scels
énoncés es lettres ci dessus et des autres parts, mais scel rompu et
perdu sur le premier lac de gauche à droite des dites lettres. Se
trouve écrit du même temps Jehan de Wale prévôt. Sur le 2ème Ponsardin
de Boulain. Sur le 3ème Pierre de Quincey. Sur le 4ème Renaud de Velu.
Sur le 5ème Colard Bonnefit. Sur le 6ème Henry Collinar. Sur le 7ème
Alexandre Duilly. Sur le 8ème Chanon de la Praele.Sur le 9ème Jehan
Duracin. Sur le 10ème Jehan Prinet. Sur le 11ème Jehan de la Chermoye
et sur le 12ème Jehan de Rarecourt.
Tiré sur l'original en parchemin étant dans les titres de la maison de Pouilly de Pouilly.
J'ai retrouvé cet original aux archives de Nepomuk en république
tchèque. Mais mal conservé, ce parchemin a perdu les sceaux dont Denain
fait état.
Quand on a lu tout cela, on voit que le fameux Jacquet était
considéré comme traitre et qu'il subit le sort qu'il devait mériter...
Il ne nous appartient pas de le rejuger près de six siècles après.
On voit aussi et surtout que les prérogatives d'exercice de la justice était choses âprement défendues !
La crainte que le "dépaysement" (terme inconnu à cette époque),
de ce procès fasse jurisprudence, explique les demandes appuyées des
Seigneurs de Pouilly pour récupérer leur justiciable et le condamner.
La justice était source de revenus puisque les biens du coupable
étaient acquis au(x) seigneurs(s) mais aussi signe de puissance et d'
indépendance.
On voit aussi qu'il y avait trois maisons fortes à Pouilly.
On peut supposer que le maire de Pouilly ne devait pas être seul dans
l'affaire, mais on ignore si des représailles eurent lieu à l'encontre
des habitants de Pouilly.
Si la lecture en version originale de Denain vous passionne les documents sont à voir ici en
photos.