Année 1709
Le Père
Fulgence Richer capucin de Mouzon écrivait :
"Cette année est appelée l'année du grand hiver.
La gelée commença le 6 janvier à 7:00 du matin, immédiatement après une
grande pluie. De gros arbres se fendirent par l'âpreté du froid et les
vieillards ne purent trouver dans leur mémoire aucun exemple d'un hiver
si rude,aussi n'y eut il ni froment ni vin, mais on sema de l'orge qui vint à merveille."
Le 11 novembre 1709, décède
Jacques Perard, curé du village. Il sera inhumé dans le chœur de la nouvelle église qui se construit.
Voilà ce qu'écrivait le curé de Jametz dans ses registres
paroissiaux :
Le curé de Velaines (55) donne une "Description de l'hyver de l'an 1709".
Sur 3 pages il explique la misère de ses paroissiens.
"Les petits enfants nouvellement nés mouraient quelques jours après
leur naissance, ne pouvant résister à la rigueur du froid". (AD55
Velaines baptêmes 1701-1720 64,65,66/145)
En voici la première page :
"Dans la plupart des villages, on y meurt à tas, on les enterre trois à
trois, quatre à quatre et on les trouve morts ou mourants dans les
jardins ou sur les chemins." (Un prêtre du diocèse de Paris.)
Plus prés de nous dans les
Ardennes, Jean Taté, bourgeois et échevins de Château Porcien, mais la valeur de son témoignage vaut pour notre
région, écrit :
"...Les semences étaient bien germées et la campagne bien empouillée,
et à voir les blés aux environs de Noël, il y avait lieu d'espérer une
récolte abondante en 1709.
Mais nos iniquités auraient tellement attiré sur nous la colère de
Dieu, qu'il envoya pour ainsi dire l'ange dont il est parlé dans
l'apocalypse, avec sa faux aiguë et tranchante pour moissonner cette
belle campagne, vendanger ces vignes et jardins, car le sixième janvier
de l'année 1709 il tomba si grande quantité d'eau la nuit que la
surface de la terre était remplie d'eau et à peine cette pluie cessa,
que l'on commença à sentir cette faux aiguë, je veux dire un froid
terrible, avec une si grande gelée, que toute la surface de la terre
n'était qu'une glace.
La gelée prit au point du jour, et avant deux heures on pouvait marcher
sur certaines glaces, et trois heures après on pouvait marcher sur
celle de la rivière. Et cette grande gelée dura pendant 18 jours, sans
discontinuer. L'on ne pouvait sortir des maisons que fort rarement, à
cause du grand givre, quoique le soleil luisait. Il n'y avait personne
sur terre qui avait vu ni ouï parler d'une telle gelée.
Sur la fin de janvier, le temps s'obscurcit et il tomba un peu de
neige. L'on espérait avoir un dégel, mais le froid reprit sa vigueur,
et il tomba du verglas qui avait tout couvert la terre, comme une glace
et resta ainsi 15 jours avec une gelée terrible et cette fâcheuse hiver
dura jusqu'environ le 8 ou 10 mars, que le verglas fut entièrement
fondu.
Les laboureurs vont voir leur terre, où ils ne voient plus de blé. L'un
dit qu'ils sont gelés, le peuple entre pour lors dans une grande
perplexité de savoir si les grains sont gelés ou non. Chacun dit son
sentiment sur cette triste aventure.
Il y eut des personnes qui en ont
été hachés des morceaux avec des haches, et les ont mis dans des caves
pour voir si ce blé reprendrait nourriture, étant tout sec, mais après
un petit temps on n'y a pris garde, et on a connu que le dit blé était
mort...
...Les commissaires vont dans toutes les provinces de France de la part
du roi avec défense de labourer les terres ensemencées en froment avant
le 8 mai. Ce fut pour lors que chacun en fut triste, tant les riches
que les pauvres de voir un tel fléau en France et se voir à la veille
d'une famine cruelle.
Les pauvres ne parlent que de piller. Les riches
dans cette crainte barricadent leurs portes et on ne peut plus vendre
de grain. Les marchés sont presque abolis, celui qui a de l'argent à
peine peut-il avoir du grain. Le roi d'un autre côté, se voit dans un
grand embarras. Un peuple prêt à se révolter, les ennemis de toutes
parts prêts à entrer en France, lesquels avaient de grandes espérances
de faire moisson dans leurs (notre) pays...
Ensuite de quoi, le roi donna ordre à la subsistance des pauvres, en
ordonnant que la rente des deux tiers des revenus de tous les biens
serait arrêtée et employée à la nourriture des pauvres, à la paroisse
où étaient situés ces biens...
...Il était défendu à toute personne de mendier son pain, sous peine de
galère, aux hommes, et aux femmes et enfants le fouet au-dessous (sans doute au dessus) de
14 ans, mais cet article n'a eu aucun effet et il était impossible
d'empêcher la mendicité, presque la moitié du monde y étant réduit ...
Il est aussi intéressant de lire dans ce même témoignage que :
"... car on a vu dans plusieurs villes des riches qui avaient de vieux
grains dans leurs greniers les distribuer avec économies aux pauvres,
au lieu de s'en enrichir, car cette année a fait bien la fortune à
plusieurs..."
Ces riches ou gros propriétaires profitant des disettes pour s'enrichir a provoqué bien des tensions, justifiées ou non.
Dans une lettre des échevins de Charleville à
Anne Henriette Julie de Bavière dite princesse Palatine, princesse
d'Arches, (1648-1723) on peut lire :
"La famine commence à faire oublier au peuple l'ordre qu'il doit suivre
et la soumission qu'il faut rendre à ceux qui les conduisent" (AD08
Charleville BB84)
Mais ventre affamé n'a pas d'oreille et la révolution le manifestera.
A lire aussi "L'essai sur l'hiver de l'année 1709 dans les Ardennes " par Michel
Cart AD08/1977