L'émigration.
Les émigrés de Pouilly
La vente des biens.
Quand on évoque l'émigration, on se figure souvent que seule la
noblesse fut concernée.
Si certains ont choisi l'exil, d'autres sont demeurés et
ont parfois payé de leur tête l'attachement réel ou feint à ce nouveau
régime et à la constitution.
Certains ont même cru à ce monde nouveau
et accueilli les réformes avec enthousiasme ou à défaut fatalisme. Ils
n'en furent pas pour autant remerciés.
Dans les campagnes les curés étaient souvent aussi pauvres que leurs
paroissiens et ne touchaient que la portion congrue. La dîme était
souvent considérée comme un juste "salaire" des bienfaits spirituels
que le desservant accordait à ses ouailles et même si elle fut décriée
dans les cahiers de doléances.
Beaucoup de ces curés se sont associés au tiers, contestant ainsi leur
hiérarchie, son opulence et souvent sa
débauche.
Ce haut clergé, sorti de France avait l'espoir d'un prompt retour.
Le bas clergé lui est souvent parti par refus du serment à la
constitution.
Mais une autre frange de la population, appartenant au tiers a aussi
connu l'émigration.
Ce sont des domestiques, des administrateurs de domaine, des fermiers
(au sens de la ferme), des militaires pour qui le serment donné au roi
ne se discutait pas.
D'autres ont dû fuir, jugés suspects, car ayant un frère, un oncle ou
un proche déjà émigré !
Donald Greer estime que la noblesse ne représenta que 17 % de tous les
émigrés, considérant que
seulement 5 % de tous les nobles quittèrent la France. Le Tiers état
fut
représenté par 51 % et un quart des émigrés fournit le second ordre.
"The Incidence of the Emigration During the
French Revolution" HUP, Cambridge, 1951
Si son estimation est juste, voilà qui remet en question bien des idées.
Donc, peut être par royalisme et loyalisme réel, peut être par peur,
tout ce monde
s'est retrouvé sur les routes, embarquant ce qu'il a de plus précieux,
qui en carrosse, qui à cheval ou à pied selon ses moyens.
La Belgique (qui n'était pas celle
actuelle, mais une possession de l'Autriche) fut une destination
privilégiée. Orval fut sans doute un relai et la révolution lui en
tiendra rigueur en la détruisant.
Puis la proximité du Luxembourg et des "micros états Allemands" assura
des refuges mais qui ne furent que provisoires.
Ce beau monde, (dont les deux frères de Louis XVI, les futurs Louis
XVIII et
Charles X) s'installèrent avec leur cour, persuadés que cette
révolution ne serait qu'un feu de paille. Ils furent au début, plutôt
bien accueillis.
Mais leur train de vie, le faste de leur cour, leurs dépravations, leur
totale méconnaissance du pays d'accueil et de sa langue, les fit vite
considérer
comme indésirables.
Pour compléter le tableau, on peut ajouter qu'il y avait des nobles
riches et des moins aisés. On ne se mélangeait pas et si à Coblence le
tout Versailles pavanait, la petite noblesse, elle se trouvait reléguée
à Worms, Bingen, Mayence ou autres villes de garnison, constituant le
future
armée de reconquête de la France.
Ces "résistants" à la révolution n'émigrèrent pas tous en même
temps.
Les premiers s'enfuirent dés 1789. Le prince de Condé, dés le
15/07/1789, le comte d'Artois, le futur Charles X le 17/07/1789 donnant
l'exemple (de la couardise ?). Le comte de Provence, futur Louis XVIII
patienta jusqu'au 20/06/1791
Les suivants, bien après furent considérés comme "collabos" et fort
mal accueillis à leur arrivée. On leur reprocha d'avoir pactisé de gré
ou de
force, avec les autorités révolutionnaires et n'avoir pas suivi ceux
qui se prétendaient les défenseurs du roi. (Une défense qui s'avéra une
catastrophe. Ses frères et
particulièrement le prétendant, Louis XVIII, firent si bien qu'ils
attisèrent la haine des coalisés contre la France.)
Quand eut lieu la tentative de reconquête du royaume en
1792, ces
coalisés le firent bien comprendre au futur Louis XVIII, en écartant
l'armée des émigrés et particulièrement celle de Condé de toute
initiative dans les combats.
Mais revenons à cette cour fantoche et sans le sous,
Souvent criblée de dettes, poursuivie par les créanciers, elle
pérégrina
de châteaux, prêtés par quelque protecteur, en auberges minables et
précaires..
Si on ajoute que le soutien de l'Autriche ne passait que par la
perspective de l' affaiblissement de la France, voire d'un
démantèlement de ses possessions frontalières, on comprendra l'aigreur
de ces immigrés prétentieux, imbus de la culture française et des
fastes de Versailles, quand on les pria d'aller exercer leur peu de
talents ailleurs.
Car en effet, non content de vivre au crochet de leurs "bienfaiteurs",
leurs habitudes de vie, le jeu, la luxure, leur hargne politique semait
le désordre, là où ils passaient.
Les villes qui les accueillaient craignaient que la France n'en prit
ombrage. Les déclarations d'un comte Ferrand sur l'avenir de la France,
si la monarchie était rétablie, ne pouvaient qu'entretenir ces
craintes. En effet il demandait que 44 000 exécutions, une par
municipalité, signalassent la rentrée des autorités légitimes.
Le comte d'Oultremont voulait qu'on pendît tout ce qui restait de
l'assemblée constituante.
A Londres, c'était un débordement de folies, de propos extravagants.
Les uns entendaient qu'à Paris, les femmes qui n'avaient pas émigré
fussent fouettées par la main du bourreau. Les acheteurs de biens du
clergé, d'après d'autres, devaient être fusillés etc. (cités par E
Daudet)
Ces rodomontades haineuses que le peuple français connaissait ne
pouvaient qu'attiser la colère des révolutionnaires contre les émigrés
et ceux qui leur offrait le gîte...
Ce n'était cependant pas l'avis de tous les émigrés et certains plus
sages, envisageaient une monarchie constitutionnelle
Quand la France sous le directoire, puis le consulat et l'empire, dicta
ses ordres aux pays d'accueil des émigrés, la vie de ceux-ci s'en
trouva encore plus précarisée.
Il s'en suivit pour eux, une longue errance, d' Italie, en
Allemagne,en Russie, en Angleterre etc.
En fait plus personne ne voulait d'eux.
On vit alors ces nobles s'inventer des talents manuels, devenir
précepteurs, redevenir simples soldats. Enfin réaliser que ceux qu'ils
avaient pressurés pendant des siècles ne survivaient que par ces
expédients et petits métiers.qu'ils découvraient.
On imagine mal l'ampleur de cette errance d'un quart de siècle, car une
autre fausse idée est de penser que l'émigration ne concerna que la
période révolutionnaire. Elle couvrit en effet la période de 1791 à
1825
avec l'indemnisation des émigrés.
Quand après l'épisode napoléonienne, les Bourbons
reprirent le
trône, ces émigrés qui n'avaient rien appris de l' Histoire, furent
accueillis en France par des gens qui ne les connaissaient plus. Une
génération était passée. Qui étaient donc ces Bourbons ?
La rancune d'avoir été dépossédés de leurs "droits", spoliés de leurs
biens et avantages, les a, quand ils furent dans une certaine mesure
(la loi du milliard par exemple) réintégrés dans ceux-ci, rendus encore
plus haïssables.
Les erreurs sur les privations de libertés, de la presse, les entorses
à la "Charte" ont vite amenés 1830 et 1848.
La chute de la royauté, un second empire nous amena finalement à la 2
ème république.
La messe était dite. Cette lignée royale qui se prétendait au dessus de
tout, descendante de saint Louis, dite "de droit divin",
était finie.
Certains aujourd'hui, rêvent de rétablir la royauté et la noblesse en
France. Un royaume de l' Utopie.
Les De Pouilly, ne revinrent pas.et s'établirent en Autriche sous le
nom de
Pouilly Mensdorff
Il est certain que notre baron de Pouilly ne faisait pas la taille pour
se pavaner avec la cour. Lui qui tenait laborieusement ses comptes, qui
complexait en recevant la comtesse de Sabran habituée de Versailles, ne
joua sans doute qu'un rôle mineur dans cette émigration.
Cependant en 1792 sa connaissance du pays l'aurait fait choisir par
Brunswick comme guide lors de l'affaire de Valmy. Ce fait reste à
prouver.
On comprend mieux que son fils, une fois établi dans une famille riche,
n'ait pas souhaité revenir en France lors de la restauration.
En ce qui concerne l'émigration voici quatre ouvrages parmi une
quantité :
D'
Ernest Daudet (1837-1921)
le frère d'Alphonse : "Histoire de l'émigration pendant la révolution
française", en 3 tomes
publiés en 1905 chez Hachette. Cet ouvrage est aussi disponible sur
Gallica. C'est extrêmement documenté.
Tout y est dit et son étude est toujours lue et appréciée.
Par contre ce Daudet a publié un ouvrage "Fils d'émigré" qui frise la
"littérature de gare". Ce roman qui se veut historique, est une suite
d'aventures survenues à un jeune noble forcé d'émigrer. Ses
pérégrinations rocambolesques vont l'amener à rencontrer les princes,
la reine Marie-Antoinette, Fouquier-Tinville, Napoléon etc.
C'est l'occasion pour l'auteur de laisser filtrer sa haine des excès de
la révolution et son attachement à la royauté.
Ernest Daudet aurait pu s'abstenir...
"Histoire de l'émigration 1789-1814" Isbn
2.246.00179.X par
Ghislain de Diesbach
(proche de l'extrême droite,
collaborateur au journal "Rivarol") qui tente de justifier
l'émigration dans son ouvrage.
A
longueur de page il fustige la racaille, la populace, glorifie ses
ancêtres etc. Il encense l'ancien régime et c'est
consternant de voir cet auteur nier les faits qui ont justifié
la révolution, et même si elle engendra de trop nombreux excès.
Il
termine son livre, page 563 en comparant l'émigration au départ des
Français vers l'Angleterre à la deuxième guerre mondiale ! Son manque
d'objectivité est navrant.
L'intérêt de son ouvrage réside dans la compilation d'aventures
individuelles et la multitude d'anecdotes qui le parsème.
"À Coblence, ou les émigrés français dans les pays rhénans de 1789 à
1792." Librairie "Les Belles-lettres", 1924, in-12
Pierre de Vaissiere.y analyse
avec un peu plus d'objectivité, les conséquences du départ prématuré
des frères du roi et leur responsabilité dans la chute de la monarchie.
Et la thèse de
Radmila Slabakowa
pour ce qui concerne les De Pouilly, "Le destin d'une famille noble
émigrée
d'origine Française dans l'empire des Habsbourg etc." . Université
Pierre Mendes France Grenoble 1999.
Sinon bien sûr les multiples mémoires écrits par ces émigrés. Et la
liste est longue.