la pêcheLa pêche

Un métier avant d'être un loisir.



La pêche, un métier avant d'être une pêche de loisir.

La nourriture de nos ancêtres comportait peu de viande. Le poisson par contre et particulièrement en période de carême était au menu.
(A noter que canards, poules d'eau etc. n'étaient pas considérés comme viande).
Sous l'ancien régime, la pêche comme la chasse d'ailleurs, était réservée au seigneurs et aux moines d'Orval ou plus exactement leurs convers ou censiers à Prouilly. La proximité de la Meuse, ressource naturelle, explique l'absence de vivier au château et dans les censes monacales.

En 1193, Amaulry ou Aimart, souverain de Raucourt, donne à l'abbaye de Mouzon la moitié des moulins de Raucourt et Pouilly avec la moitié des vinages ou péages et de la pescherie des dits lieux; mais on ne sait comment ces rentes se sont évanouies. FR

Louis IV, comte de Chiny, atteste la donation faite à l'abbaye d'Orval en 1204 par Guy dit le Sénéchal, et Helwide sa femme, de Raucourt, du droit de pêche à Prouilly. " ...in aqua sua de Poillei, scilicet ab introitu aquae mortuae ipsorum fratrum quae vulgo dicitur Mortiers, usque ad petram de Ynort".  (Cartulaire Goffinet page 141 ).

La pêche qui était un privilège, était aussi pratiquée "avec toutes sortes de filets, harnais et verviers, le long du domaine depuis "... l'issue des eaux mortes des frères dite Mortiers jusqu'à la pierre d'Ynort...". (Donation de Guy le Sénéchal, Goffinet).
Dans cette partie du fleuve il existait une vanne, sorte de barrage en forme de V, dans lequel on forçait le poisson à entrer.
On ne sait rien de ce que rapportait la pêche en Meuse, pas plus que celle pratiquée dans "la laye du Mortron, qui passe en dessous de la maison de Prouilly".

Le 24/10/1455, une sentence arbitraire au sujet d'un litige sur la pêche déclare que "... les moines peuvent pêcher pour eux et pour le domaine de leur église... et tout qui demeure dans leur maison de Prouilly, nommée la grande maison...". (Inventaire des archives de l'abbaye d'Orval 1737. Christian Grégoire).

Le 02/08/1719, un censier de Prouilly, Jean Henry est à l'origine d'un débat sur le droit de pêche. (Arch. d'état d'Arlon layette Prouilly).

En 1745, "L'abrégé des biens des moines de l'abbaye d'Orval " nous apprend : "Nous (les moines) avons seuls le droit de pêche dans la noue devant la cense de Prouilly, dite communément le Morteron".

En 1753, le maître de grange de Blanchampagne, frère Gérard, dispose du droit de pêche dans les eaux de Prouilly. comme s'il en était le principal responsable.
La pêche est louée à Gobert Normand (1703-1774) par bail du 17/12/1753. (Arch. d'état Arlon layette Prouilly).




Le métier de pêcheur existait donc et des familles s'étaient spécialisées dans cette activité. Les Stevenot par exemple, Louis le père et le fils.
La pêche était affermée comme le four ou le moulin, mais je n'ai pas trouvé de contrat la concernant sauf pour la cense de Prouilly où l'abbaye d'Orval établissait des baux avec les pêcheurs, dont ce Louis Stevenot dont on lira plus bas les démêlés pour "braconnage".
Lequel  braconnage était bien sûr monnaie courante et améliorait l'ordinaire.


probleme de pêcheLe vol de matériel existait déjà à en croire la plainte déposée par Louis Stevenot le 16/09/1750. (AC Stenay).

"A M. le maître particulier des eaux et forêts du comté de Stenay.
Supplie humblement Louis Stevenot fermier de la pêche de la rivière de Meuse, dépendant du fief de Prouilly située en cette maîtrise, demeurant à Pouilly.
Disant qu'il a envoyé aujourd'hui environ les huit heures du matin, Louis Stevenot son fils sur la barque pour relever un vervieux (le verveux et non vervieux était un filet à anguille) qu'il avait tendu dans la dite rivière de Meuse dépendant dudit fief de Prouilly en lieu dit vis à vis le (ga???) en la prairie haute dudit Prouilly en commençant à la gueule du Damploup (en marge une indication : Le long du bord de la rivière du coté en tenant au dit fief qui est de votre juridiction) en quoi qu'il ait droit suivant son bail de pêche dans les endroits ci-dessus nommés. Néanmoins il a été fort surpris de voir revenir son fils qui lui a dit que des gens inconnus lui avaient enlevé de force ses filets en la nacelle sur laquelle il était monté, ce qui fait un tort considérable au suppliant qui l'oblige de se pourvoir.
Ce considéré Monsieur et vous plaise donner vite au suppliant de lequel je rends partie civile en plaignant à l'encontre de certains quidam malveillants qui ont aujourd'hui environ les neuf heures du matin enlevé la barque et le dit vervieux du suppliant qui étaient dans l'endroit de la rivière de Meuse etc.".
Il est alors répondu " Je consens que l'information requise soit faite aux risques et périls du suppliant etc."  (AC Stenay).
En fait l'enquête était à la charge du lésé...
On ne sait pas ce qu'il en advint, mais en 1755 Louis Stevenot fils était toujours pêcheur.

On sait que les meuniers ou fermiers des moulins étaient assez mal considérés. Supposés voleurs sur les quantités de farine restituées, ils avaient en outre le droit d'eau. Ce droit géré à leur convenance libérait plus ou moins d'eau vive suivant leurs besoins.
Mais ils possédaient surtout, source de jalousie, l'autorisation de pêche sous leur chutes. Et tout pêcheur sait que le poissons carnassiers, brochets, perches ou truites aiment particulièrement les eaux courantes.

La pêche était encore au XIX ème un moyen de subsistance.
Les "Annales du sénat et de la chambre des députés" du 16/01/1880, nous apprennent page 28, que M. Liouville, député de la Meuse, dépose la pétition no 693 pour obtenir la levée de l'interdiction de la pêche à l'amorce vive.

"22 habitants de la commune de Pouilly exposent à la chambre dans une pétition du 08/12/1878, la situation fâcheuse qui résulte pour eux de l'interdiction de la pêche à la ligne à l'amorce vive.
Dans les temps difficiles que nous traversons disent-ils, la pêche est pour nous un moyen de supporter plus facilement les chômages et de donner du pain à nos familles. Nous préférerions, s'il était possible, payer une redevance de 6 francs, afin de nous assurer ce petit gain si nécessaire...".
En effet le préfet de la Meuse avait interdit ce genre de pêche, et la conclusion est que :
"...quelque soit l'intérêt qu'inspire la situation des ouvriers de Pouilly, la Chambre ne peut pas intervenir dans cette question qui est réglée par la loi.".
Le journal officiel du 17/01/1880 page 413 en fait également état.
Cette anecdote nous renseigne sur le climat social à cette époque. Le chômage sévit, sans doute par inactivité de l'usine.

Mais que pêchait on en Meuse ?
Parmi les carnassiers, le brochet, le sandre, la perche, dans les eaux vives.
En eau calme, la carpe, la brème la tanche et d'autres moins goûteux comme le barbeaux, le chevesne, le hotu
Pour la friture, l'ablette, le gardon, la vandoise etc.
On trouvait également des écrevisses, des anguilles, des truites et sans doute des saumons. La pollution y a mis un frein et leur capture est maintenant anecdotique.
Et bien sûr les grenouilles qui faisaient l'objet de braconnage nocturne quand la Meuse débordait dans la prairie. En bottes, sac de jute sur l'épaule et à la lampe électrique (tout au moins au XX ème siècle) il ne fallait pas se faire prendre par la maréchaussée. Mais les gendarmes hésitaient à s'aventurer dans l'eau et en terrains mouvants qu'ils ne connaissaient pas.

Les noues étaient louées comme on le constate dans les budgets communaux. Ainsi en 1868 cette location rapporte 236,25 francs.
On trouve parfois les annonces de location des noues dans les journaux.
Ainsi le Petit Ardennais annonce le 16/04/1909 la location de l'île de Pouilly, pour six années. "Très belles pêches et chasse, herbages, superficie 3,5 ha. Mise à prix 150 francs"

A noter que la pêche mercantile (en parallèle et parfois en conflit avec la pêche de loisir), a duré jusque dans les années 70.
Moyennant une "patente" certains pouvaient utiliser des nasses.
On peut noter M. Humbert, Claude Garin qui n'arrêta cette activité qu'en 1975.



Puis la révolution passa et la pêche devint un loisir.



Un conflit de pêche entre Louis Stevenot et l'abbaye d'Orval en 1737

"Par devant notaire juré au tabellionnage de Stenay y résidant soussigné furent présents en personne les vénérables abbé et prieur religieux de l'abbaye de notre dame d'Orval par le frère Jean Martin Minet religieux de la dite abbaye d'une part et Louis Stevenot bourgeois de Pouilly, y demeurant d'autre part.
Qui ont dit qu'étant en instance par devant monsieur le maître particulier des eaux et forêts de Stenay sur ce qu'au préjudice du bail passé par devant notaire à Stenay le 15/11/1732 par lequel les dits sieurs abbé et religieux ont laissé au dit Stevenot la pêche de la laye du Morteron et de la rivière de Meuse dans toute l'étendue des bans de la Vignette et de Prouilly d'un bord et dans tous les endroits généralement des dits bans ou les dits sieurs abbé et religieux ont droit de pêche et ce pour une, deux ou trois années qui ont commencé le 17/11/1732, moyennant que le dit Stevenot partagerait de moitié par moitié avec les dits sieurs abbé et religieux tout le poisson qui proviendrait de chaque pêche à condition que le dit Stevenot fournirait les nacelles, filets et engins de toute espèce qui y seraient nécessaires pour faire par lui ou gens de sa parenté (?) en nombre suffisant la pêche dans tous les temps et saisons convenables, lorsqu'il en serait requis verbalement par les dits sieurs abbé et religieux dans la laye du Morteron non seulement mais encore dans tous les endroits de la rivière de Pouilly où les sieurs abbés et religieux ont droit de pêche suivant leurs titres dans lesquels endroits le dit Stevenot ou gens de sa part ne pourraient dans aucun temps jeter la roye qu'en présence de quelque religieux ou gens préposés de leur part ni la leur, pour être le poisson en provenant partagé moitié par moitié;
Au préjudice duquel bail le dit Stevenot ayant le 24 octobre dernier et jours suivants pêché à la roye dans la rivière de Meuse battu tous les endroits où les dits abbé et religieux ont droit de pêche en sorte que tout le poisson est descendu jusqu'aux écluses de Pouilly où le dit Stevenot en a pris une quantité prodigieuse qu'il aurait pu prendre dans les endroits où les sieurs abbé et religieux on droit de pêche.
Ce qu'il n'a fait afin de les frustrer de la moitié qui leur en serait revenue suivant leur bail, ce que les sieurs abbé et religieux ont regardé comme une fraude et une contravention manifeste à leur droit et à leur bail et pour en avoir raison, leur a fait présenter requête le 21 novembre dernier à ce qui leur fut permis de faire assigner comme il ont fait le 22 du même mois et le dit Stevenot a comparu par devant mr le maître particulier de Stenay dans les délais de l'ordonnance pour convenir ou disconvenir des faits ci-dessus pour en cas de dénégation en voir ordonner la preuve pour icelle faite ou en cas d'aveu se voir le dit Stevenot condamner tant par provision que définitivement à payer aux dits sieur abbé et religieux d'Orval nonobstant l'appel la somme de mille livres à laquelle ils veulent bien se restreindre pour leurs dommages et intérêts. Si mieux n'aimait le dit Stevenot à dire d'expert  dans les parties conviendraient ou qui seraient nommés d'office.
Le dit Stevenot n'ayant comparu ni fourni de défense contre cette demande les dits sieurs abbé et religieux ont obtenu défaut contre lui le 22/12/1736 pour le profit duquel avant faire droit, M le maître particulier a par jugement du dix huit janvier dernier ordonné que les dits sieurs abbé et religieux justifieront qu'au préjudice de leur droit et du bail fait entre les parties le dit Stevenot a le 24 octobre dernier et jours suivants jeté la roye a .... et en fraude de leurs droits et l'a tiré dans les endroits de la rivière de Meuse où ils ont droit de pêche et fait en sorte de faire descendre des dits endroits tout le poisson jusqu'aux écluses de Pouilly où il a pris une quantité prodigieuse de poisson sans en faire aucune part aux abbé et religieux. Sauf la preuve contraire au dit Stevenot dans les délais de l'ordonnance, le dit Stevenot ayant appris que les dits sieurs abbé et religieux étaient prêts de faire exécution de ce  jugement [...] Stevenot leur aurait dit qu'il croyait de bonne foi que les trois années de son bail étaient expirées. Il pouvait en ....de celui qu'il a de Monsieur de Pouilly, pêcher dans tous les endroits de la rivière de Pouilly en tirant la roye sur les deux bords. Les dits sieurs abbé et religieux ont répartis que le dit Stevenot avait depuis les trois années de son bail expirées continué de pêcher dans la laie du Morteron et dans les endroits de la rivière de Meuse où ils ont droits de pêche; ce qu'il n'a pu faire que par tacite reconduction au préjudice de laquelle il n'a pu ni dû comme il a fait au mois d'octobre dernier jeter la roye dans les endroits où les sieurs abbé et religieux ont droit de pêche battre tous leur coup de roye et faire descendre le poisson jusqu'aux écluses de Pouilly [...] ce qui a déterminé le dit Stevenot de s'en rapporter à la clémence des dits sieurs abbé et religieux, lesquels pour lui en donner des marques ont bien voulu se restreindre à la somme de 20 livres que le dit Stevenot a payé comptant ainsi que les dépenses au moyen etc." (AEA 1064)
On voit que les abbés veillaient au grain, mais que de 1 000 on passe à une amende de 20 livres.
(La roye est un filet de pêche)



Un contrat de pêche en 1755

Par devant les notaires jurés au tabellionnage de Stenay y résidant soussignés fut présent vénérable frère Gérard de Blanchampagne autorisée de M l'abbé d'Orval lequel a volontairement reconnu avoir laissé à titre de bail en argent pour trois, sic ou neuf années consécutives au choix de monsieur l'abbé d'Orval à commencer au 01/01/1754 et finira à pareil jour les dites trois, six ou neuf années révolues et accomplies à Gobert Normand, maître pêcheur demeurant à Pouilly présent et acceptant [...] la pêche de la rivière de Meuse d'un bord seulement dans tous les endroits où l'abbé d'Orval a le droit de pêche suivant les transactions faites entre lui et mme d'Imécourt et m de Pouilly que le dit preneur a dit bien connaître et encore de la pêche de la laye du Mortron qui en dessous la dite maison de Prouilly le dit droit de pêche appartenant à M l'abbé d'Orval comme seigneur du fief de Prouilly. Le présent bail ainsi fait et moyennant que le dit preneur a promis d'en rendre en paiement par chacun an à M l'abbé d'Orval entre les mains du dit frère Gérard la somme de 25 livres dont le premier paiement se fera au premier janvier en l'année mil sept cent cinquante cinq. (AEA 1066)