Le transfert du cimetière.
Il était dans les mœurs d'enterrer les gens autour de l'église paroissiale.
Mais cette habitude avait ses limites, tant du point de vue place que promiscuité et risques contagieux.
D'ailleurs une loi avait déjà interdit l'inhumation dans les églises et
elle fut bientôt complétée par une autre exigeant que les cimetières
fussent à l'extérieur des villages.
Le choix de l'endroit créa à Pouilly toute une polémique où la mauvaise foi s'allia aux ragots.
Tout commença en
1881
Ce dossier intéressant se trouve aux archives de Bar le Duc et je vais tenter de le condenser.
Pour les détails voir les
photos
François Montlibert, cultivateur demeurant à Pouilly, possédait un
terrain "derrière les jardins". (Jardins existants toujours devant
l'actuel cimetière.)
Il voulut en faire "don" à la commune... Avec une "rente viagère de 60
francs par an et la concession d'un are de terrain dans le nouveau
cimetière". Autorisation du 07/02/1884.
Cette rente apparait au budget communal jusqu'en 1902, François Montlibert étant décédé le 19/03/1901.
C'était une chènevière de 22 ares 80 centiares.Cette surface semblait
alors en accord avec le taux de mortalité, la moyenne des décès étant
de 11,5 par an (sic) pour les 5 années précédentes.
Le 11/12/1881 une enquête (de 9:00 à 15:00) est faite auprès des
habitants de Pouilly. C'est Constant Hussenet, instituteur à Inor qui
en est chargé. La question est :
"Consentez vous à ce que le vote fait par le conseil municipal de
Pouilly, pour la translation du cimetière dans un terrain donné à la
commune par M. Montlibert François, propriétaire à Pouilly, reçoive une
exécution ?"
Dix huit personnes se manifestent en votant pour le projet mais trois le contestent.
On remarquera qu'à cette consultation aucune femme ne s'est manifestée.
Les adversaires sont
Pilard Charles, Stevenot Pierre et Pilard Albert
qui nous laissent leurs arguments sous la forme de trois lettres. On
verra plus loin que ces trois personnes avaient des intérêts communs
dans la fabrique de draps de Pouilly, mais qui n'expliquent pas pour autant
leur opposition au projet.
Albert Pilard est absent le jour de la consultation, mais laisse une lettre où il explique :
"...étant obligé de m'absenter aujourd'hui, j'ai l'honneur de vous
exprimer sous ce pli mon opinion sur la question du déplacement du
cimetière de Pouilly.
Le cimetière actuel ne me semble offrir aucun inconvénients; la place
ne manque jamais et quant à sa proximité avec le village, il ne peut en
résulter aucun danger pour la santé des habitants... "
Cet Albert Pilard demande donc que les fonds accordés à cette translation soient affectés à des travaux de plus grande urgence.
Charles Pilard quant à lui, a d'autres arguments.
"La nature des raisons qui me font m'opposer à la translation du
cimetière, m'oblige à prendre cette forme non publique de déclaration.
L'offre du terrain est le résultat de gageures entamées avec un brave
homme auquel le libre exercice de ses facultés intellectuelles, n'est
pas toujours permis; je crois inutile de dire pourquoi. (En fait il accuse Montlibert d'intempérance)
Enfin, cette considération à part, le cimetière actuel est largement
suffisant aux besoins de la population et la création d'un nouveau
champ de repos est une fantaisie funèbre qu'on ne devrait juger qu'à sa
valeur et comme elle le mérite. Mais le plus fâcheux est qu" elle
inaugure un système de dépenses inutiles dans une commune, dont à
l'heure qu'il est, les finances sont encore prospères."
Pierre Stevenot, lui argue du
fait que le village avait auparavant 800 habitants pour le cimetière
actuel et que maintenant réduit à 500, il devrait encore suffire.
Le commissaire enquêteur désigné par l'arrêté du sous préfet de
Montmedy le 28/11/1881 signale dans son rapport du 15 décembre de la
même année : "le sieur Stevenot nous a déclaré qu'il signait contre le
projet dans le seul but de faire de l'opposition."
En
conclusion, situé sur un lieu élevé et à plus de 80 mètres de toute
habitation,
avec un sol propice et considérant que les objections faites n'étaient
guère recevables, le commissaire enquêteur donne un avis
favorable à
la translation du cimetière , le 15/12/1881
Le conseil municipal du 29/12/1881 "recadre" les contestataires :
"Vu le procès verbal de l'enquête et le rapport du commissaire
enquêteur. Entendu la lecture de deux lettres annexées, le conseil
municipal répondant à celle de M. Charles Pilard proteste
énergiquement. M. Pilard prétend que l'offre faite par M. Montlibert
est le résultat de gageures entamées avec notre honorable collègue et
il profite de l'occasion pour insulter M. Montlibert. Le conseil à
l'unanimité exprime à M. Montlibert toute sa sympathie pour les
attaques dont il est l'objet et qui du reste rejaillissent sur le
conseil municipal tout entier. Dédaigneux de pareils insinuations le
corps municipal ne relève pas ce mot de fantaisie funèbre dont M.
Pilard traite les actes de l'autorité municipale et refuse de répondre
à l'accusation directe de ruine de la commune, accusation qui revient
périodiquement et qui vient d'un véritable parti pris.".
Le maire Léon Monod demande au sous-préfet
de "ne pas ajouter foi à des attaques passionnées et dénuées de
tout fondement" émanant de Charles Pilard,
Il explique également : "...je m'inscris en faux contre cette
accusation que le plaignant (Charles Pilard) serait bien embarrassé de
prouver. M. Montlibert possède le terrain dont il vient de faire don à
la commune depuis fort longtemps. Il l'a acquis après la guerre (1870)
et aussitôt l'acquisition il dit à plusieurs personnes, voici un
terrain dont personne n'héritera, je le léguerai à la commune pour en
faire un nouveau cimetière. L'intention était formelle et datait donc
de longtemps".
"Enfin le conseil répond à M. Albert Pilard qu'il sait lui aussi que de
nombreuses dépenses sont urgentes à exécuter, mais comme la translation
du cimetière est nécessitée par la construction de la maison d'école
des filles, il regrette de ne pouvoir trouver mot à l'objection de M.
Albert Pilard".
En effet la reconstruction de l'école des filles est un argument majeur
à la translation de cimetière. La préfecture le souligne dans un
courrier de février 1884. "...dans l'intérêt de la santé des
institutrices et de leurs élèves, de supprimer le cimetière
actuel très rapproché de l'école et d'où s'échappent des exhalaisons
pouvant occasionner des maladies..."
Le projet de translation du cimetière est donc approuvé le 29/05/1882 par le Conseil d'hygiène publique et de salubrité.
Et c'est finalement le 07/02/1884 que la préfecture de la Meuse donne son accord à la translation du cimetière.
Le cahier des charges du cimetière.
Il prévoit :
"Ce cimetière aura une forme rectangulaire de 50 m de longueur sur 40 m
de largeur. La face principale sera reculée de 5 m de l'alignement du
chemin. elle contiendra dans le milieu de sa longueur une porte de 2m30
de large munie d'une grille en fer forgé. Les murs projetés auront une
longueur de 180 m et une hauteur de 2 m au dessus du sol, tablette ou
chaperon compris.
Une croix de station sera établie à l'extrémité de l'allée principale.
Cette croix qui sera tout en pierre, aura 4.60 m au dessus du sol etc."
Pierre Pognon, entrepreneur demeurant à Pouilly, emporte le marché le 20/12/1884 pour 3227,88 francs.
Ce pierre Pognon est né le 23/08/1846 à Pouilly et se marie à Marie
Elisabeth Poterlot le 16/02/1874. On apprend sur l'acte de mariage
qu'il est tailleur de pierre et que son père, François Ambroise est
maçon. (AD55 1873-1882 37/177)
Les travaux sont réceptionnés le 10/10/1885 par M. Lagosse, architecte à Montmedy et par le maire Louis Gillet.
Mais le 24/12/1885, une lettre du maire au sous préfet signale que l'entrepreneur attend toujours son règlement.
Dix sept ans après, on connait l'état du cimetière par une étude lancée en 1902 sur les
paroisses du diocèse, et retrouvée à la bibliothèque de
l'évêché de Verdun.
Le rédacteur de cette étude est le curé
François Alfred Gilles.
Il situe le cimetière à 25 m de l'église et 200 du presbytère.
Il le dit suffisant pour 20 ans consécutifs, environné de murs avec porte en fer.
Assez bien tenu et l'entretien privé des tombes est assez bon.
Il signale qu'aucun curé n'a encore été enterré dans le cimetière actuel. (Il sera en fait le premier le 27/05/1911)
Le 07/09/1902 le conseil décide de faire des réparations : "Démontage
jusqu'au sol, remontage en remplaçant la pierre de scellement,
re-scellement de la porte, pose d'une agrafe dans l'intérieur du mur.
Ce travail devra être terminé pour le 15/08/1902.
Le rejointement des murs est aussi à refaire.
C'est Pierre Pognon qui est adjudicataire de ces travaux.
Le 12/08/1924 le conseil vote la somme de 260 francs en règlement du
transport de 40 m3 de sable pour les allées, effectué par M. Constant
Lambert.
Mais qui étaient les protagonistes ?
François Montlibert le possesseur du terrain, était cultivateur à la ferme de Prouilly, né le 26/01/1824 et décédé au même lieu le 19/03/1901.
Son père Jean (ca 1784-05/05/1858 Pouilly) épouse Alexise
Michel (15/05/1788 Stenay-06/05/1880 Pouilly) en mars 1821 à Villy (08)
Il existe mais d'assez loin des liens de parenté avec les familles Vanderesse, Guichard etc.
Marie Joseph Albert Pilard n'est
pas originaire de Pouilly. Il est né le 16/04/1852 à Sedan de Jean
François Pilard, négociant en laine, ( ca 1820-27/11/1869 Sedan) et de
Scholastique Émilie Clémence Terriblini, rentière (ca 1821-) domiciliée à Pouilly en 1877.
Marié le 13/03/1877 à Sedan avec Louise
Elodie Moulnier,( 24/01/1855 Charleville-06/09/1927 Stenay) (AD08 1873-1878 465/625)
Il est le père de
Albert Marie Charles Renée Pilard
né le 12/04/1878 et qui mourra pour la France en 1916.
Il a également une fille Augusta Marie Eugénie née le 19/07/1881 (AD55
1873-1882 144/177) qui décède à Ballay (08) le 28/01/1947. Elle avait
épousé Georges Du Verdier (1867-1918) et eut de lui Philippe Louis
Marie Du Verdier, le célèbre archiviste et historien (1907-1996)
Sur l'acte de naissance de ses enfants on apprend qu'il est filateur à Pouilly.
Charles Jean Baptiste Marie Pilard est né à Sedan le 23/06/1843. C'est le frère du Pilard ci-dessus. Il est négociant en laine.
Il se marie à Lucie Marie Victorine Ducloux, professeur de piano âgée
de 20 ans, née le 11/09/1851, le 08/06/1872 à Orléans. (AD45 1872
251/547)
A son mariage il était domicilié 1 rue des fours à Sedan avec sa mère.
En fait ces deux Pilard ont acquis la fabrique de draps qui appartenait à M. Renart à Pouilly dans les années 1880.
Pierre Stevenot né à Pouilly le
17/10/1834 et décédé en 1917 travaille comme foulon à la filature en
1857 et comme directeur en 1886. Il est à l'origine des familles
Vanderesse, Guichard, Wendling etc.
Il est lui même parent avec François Montlibert.
On ne sait pas si l'ouverture du nouveau cimetière, entraina l'arrêt immédiat des inhumations dans l'ancien.
En effet le survivant d'un couple souhaitait peut être se trouver prés de l'autre.
Y avait il des concessions à perpétuité ? Et si oui, y-eut-il transfert vers l'autre cimetière ?