Les déplacements sur l'eau.
La batellerie
La Meuse depuis toujours fut une voie de navigation.
Bien avant l'arrivée des Romains, la plupart des produits alimentaires
et des matériaux transitaient pas voie d'eau..
Les techniques de construction des bateaux étaient bien développées. On
se servait de différents types d'embarcation, de la pirogue monoxyle au
radeau et à la barque de grandecapacité.
Nos ancêtres, Gaulois ou Celtes, de Pouilly, pour de simples raisons
d'approvisionnement en eau, vivaient en bord de Meuse.
Il fut découvert à Pouilly et Inor deux
haches
de l'âge du bronze,
soit entre 5000 et 3000 ans avant notre ère. On peut sans risque
imaginer que le fleuve servit dés lors de vecteur à leurs activités.
Leurs descendants ont été témoins du passage d'autres
"mariniers", les Normands en quête de pillage.
Sur le site du Flavier au dessus de Moulin, ont été découverts près de
300 morceaux d'amphore, soit une centaine de kilos de tessons
correspondant à une quinzaine de récipients. Olivier Caumont et Mathieu
Poux estiment que ces amphores datent de 50 à 40 avant notre ère. On
remarque disent ils "une homogénéité des pâtes caractérisées par une
même argile sableuse orangée proche des productions de la région de
Naples..."
On peut donc reconstituer leur parcours, via Massilia (Marseille),
Lugdunum (Lyon), Verdun et finalement Mouzon. Et il semble évident
qu'une grande partie se fit par voie fluviale.
On sait également que Verdun fut un centre actif de trafic d'esclaves
et d'armes entre les pays nordiques et les pays musulmans, l'apogée se
situant à l'époque carolingienne. On peut supposer qu'une partie des
transports se faisaient par voie fluviale.
A Mouzon, en 1984 et 1986 furent découverts des sarcophages dont
certains proviennent des carrières de Savonnières près de Bar le Duc et
il est certains qu'ils n'ont pas fait le trajet que par la terre.
Paul Motte, historien de Mouzon a écrit un article sur "2000 ans de
transports fluviaux sur la Meuse à Mouzon" (Terres Ardennaises, juin
2008)
Voir aussi "La Meuse mérovingienne de Verdun à Maastricht du V
ème au VIII ème siècle". Acte du colloque de Namur de 1998.
Un peu plus tard.
Dans un article sur le règne de Thibaut de 1270 à 1291, paru dans les
"Mémoires de la société des lettres, sciences et arts de Bar le Duc" on
peut lire (p 415 tome 3 1918-1921) :
"Les conquêtes du comte provoquèrent un premier conflit en 1258 avec
l'archevêque de Reims. Thiebaut avait acquis à Beaumont, qui dépendait
de l'archevêché, certaines possessions que le châtelain de Stenay
administrait... Thomas de Beaumetz, nommé archevêque de Reims contesta
au comte de Bar le tiers de la justice etc... et déclara que les
bateaux qui remontaient la Meuse devaient s'arrêter à Mouzon sur son
territoire, ce qui lui rapportait de gros profits.
Un certain Duecars, bourgeois de Reims, ancien sergent à Stenay
certifie le 29/03/1258 "...et vit toujours tant com il fut là,
les neifs venir jusqu'à
Sathenai et deschergier là, et em prenoit om le paage à Poillei"
Voir "Les chartes du Clermontois" A. Lesort No XXXVIII d'où est
tiré le texte précédent.
Encore plus tard...
En 1703 l'intendant de Champagne M. Harouys ordonne au propriétaire et
possesseurs des héritages qui sont sur la rivière de Meuse de rendre la
navigation libre, en laissant un terrain suffisant pour la traite des
bateliers . FR
Après la déroute de 1870, les ambulances utilisèrent la Meuse comme
moyen de transport.
"A Verdun la Meuse est
navigable. Voulant tirer parti du meilleur de tous les modes
d'évacuation, le transport par eau, nous affrétâmes à Stenay trois
grands bateaux que nous fîmes descendre à Pouilly. 40 blessés furent
conduits par cette voies à l'hôpital fixe de Mouzon"
(
"Rapport
au comité de la société de secours aux blessés militaires sur la
campagne
de l'ambulance internationale n° 11 bis (de Paris) (19 août 1870-28
février 1871)" par Alfred Monod)
Si des coches d'eau ont existé, je n'en ai pas trouvé trace écrite.
Mais comment étaient leurs bateaux ?
Les plus
primitives des embarcations furent sans doute la pirogue et le radeau.
Proche du radeau, il y eut le flottage du bois.
Une lettre adressée au duc de Lorraine, accuse Simon de Pouilly de
malversations dans la construction de la citadelle de Stenay. L'auteur
de cette lettre prétend que Simon de Pouilly, alors gouverneur de
Stenay a prélevé indument des troncs de chênes équarris sur
l'attribution que lui en avait faite le duc pour la construction du
château de Louppy. Il précise que ces troncs représentaient une valeur
de 80000 francs.
Cette activité a connu un grand développement sous le premier empire.
Le "Narrateur de la Meuse" du 12/10/1806 nous apprend qu'on
envoie par la Meuse des arbres pour les constructions maritimes.
Quant aux barques elles-mêmes, on en possède un descriptif.
Le chanoine Constant Vigneron écrivait dans son ouvrage
"Activités industrielles du Nord Meusien" (imprimerie Charlot Stenay
08/1968) page 117 et suivantes :
"Jusqu'en 1884, les bateaux ne pouvaient avoir sur la Meuse, qu'un
faible tirant d'eau, le cours de la rivière, n'étant pas canalisé. La
construction des moulins avait permis un commencement de canalisation.
Il avait fallu pour franchir la chute d'eau du moulin, prévoir au
barrage un passage aménagé en écluse, appelé pertuis de navigation."
L'annuaire de la Meuse pour l'an XII (page 4 et 5 1803) plus précis
donne les dimensions des
bateaux de la haute Meuse.
"Ils mesurent
24.35 m de longueur, 2.92 de largeur au bordage,réduit à 3.11 m dans le
fond, sur 1.13 m de hauteur hors d'œuvre. Ils tirent 1 m d'eau quand
ils sont chargés. Tous les bateaux ont les mêmes dimensions et la même
forme triangulaire aux deux extrémités. Il en existe 15 bateaux qui
appartiennent à 6 bateliers.
Il y a de Verdun à Sedan 7 myriamètres par terre, le double par eau (Le
myriamètre est une unité adoptée sous la révolution. Il vaut 10 000
mètres soit 3 lieues).
Les bateaux font ordinairement 8 jours pour faire ce trajet. Le retard
qu'occasionne le passage des moulins peut être évalué à 2 journées."
En 1836, le rapport du capitaine de Gerneaux, précise que "...ces
bateaux
ne peuvent charger plus de 9 tonnes en remontant et 20 au maximum en
descendant quand les eaux sont hautes. Ils mettent environ 5 jours pour
aller de Sedan à Verdun et 4 jours pour le retour. Les bateliers
estiment qu'ils passent 2 jours sur ce parcours à franchir les gués et
les moulins. Enfin ils subissent le repos forcé quand le eaux baissent
trop, gèlent ou débordent. Trois à quatre mois sont ainsi chômés chaque
année.".
Enfin avant la construction du canal, l'existence des
gués confirme le peu de tirant d'eau
de ces embarcations.
Dans le mémoire du 14/06/1828 concernant la reconstruction du grand
pont on peut lire :
"Dans l'état actuel de la navigation, les bateliers en remontant la
Meuse suivent le chemin de halage, sur la rive droite, jusqu'au peit
pont D, sur le sous-bief des moulins de Pouilly, longent alors la rive
gauche de ce bief et font le tour des bâtiments EB pour rejoindre la
levée BF, jusqu'au déversoir, lorsque les eaux le permettent.
Dans le cas contraire, ils vont traverser la rivière sur le grand pont,
pour reprendre les bateaux arrêtés près le déversoir, et de là ils
suivent la rive gauche de la rivière jusqu'à Stenay. Ainsi les bateaux
ne passent jamais sous le grand pont de Pouilly". (AD55 8 O 589)
Et
que transportait on ?
Des céréales, du vin, du bois pour la construction, du fer et autres
matériaux, de la grève, du charbon, des ardoises des Ardennes pour les
toitures etc. Et sans doute des voyageurs.
Solvay, groupe belge de chimie fondé en 1863 mit sur l'eau une flotte
de nombreuses péniches, toutes semblables jusqu'au nom, constitué du
mot Solvay suivi d'un nombre à trois chiffres. Ce qui manquait un peu
de poésie... Et particulièrement quand on pense à ce bateau bloqué par
les crues et le gel en 1968, qui portait le nom de "Mafraclé" issu des
prénoms des enfants Marie, Franck et Clément. Ce bateau resta quelques
semaines bloqué au dessus de l'écluse. Ces enfants devenus amis,
furent comme beaucoup dans ce cas écoliers à Pouilly.
Mais plus curieusement, une péniche, annexe du musée Grévin, fit un
arrêt à Pouilly. Elle s'était garée devant la Ruelette et il fut
possible de visiter ce musée ambulant. Cette expérience de
vulgarisation menée par le musée Grévin s'arrêta en 1958. Elle avait
commencé en 1950.
Je n'ai pas retrouvé la date de passage à Pouilly.
Une autre péniche avait aussi fait parler d'elle. Elle était rouge vif
et la rumeur disait qu'elle transportait des produits radio-actifs.
Mais je n'ai pu vérifier cette information. Etait-ce pour la centrale
de Chooz ?
La
traction des bateaux.
Comment avançaient ces bateaux ?
Les premières embarcations, avant la canalisation étaient pour les
petites et dans le sens du courant dirigées à la gaffe.
Ce fut fort longtemps par la force humaine. Le batelier et sa famille
s'attachaient à une corde de traction appelée "bricole" et tiraient le
bateau. Ce travail pénible ne permettait guère qu'une quinzaine de
kilomètres à la journée.
Puis par des chevaux ou autres bêtes de somme. Ils appartenaient soit
au
batelier qui les logeait dans une écurie à bord, soit à des charretiers
qui disposaient de relais.
On connait Claude Normand, batelier à Pouilly dans un différend
concernant la corvée pour les chevaux utilisés à la traction des
bateaux. (Lettre du 12/07/1787)
Voici ce qu'écrivaient René Dumont dans "Voyage en France d'un
agronome" 1951 :
"...et surtout la traction des bateaux sur la Meuse apportait à
certains de ces bricoliers ou arcandiers des suppléments appréciables
de recette. Certes il fallait de bons chevaux pour remonter le courant
avec une péniche de 300 t ; à cause des écluses, on ne dépassait guère
15 km par jour. À trois francs du kilomètre (1,50 fr. à la descente) ça
rapportait tout de même plus que le blé à 16 fr, l'avoine jaune à 10
fr, la noire à 11 fr, le quintal, en 1898. Il allait jusqu'à Givet,
Namur, Charleroi ; il ne travaillait pas l'hiver ; c'était un heureux
!"
Parmi les charretiers au XX ème siècle, on relève les noms de :
Bestel F.
Ravenel Ed.
Ravenel J.
Simon E.
Simon L.
Pognon A.
Puis avec l'invention du moteur diesel apparurent vers 1930 les
tracteurs de bateaux. Le passage des écluses était tout un art car le
tracteur décrochait le câble et la péniche entrait à la gaffe pour se
faire raccrocher à la sortie.
On vit aussi des remorqueurs mais sur la Meuse en petit nombre. Leur
cheminée pouvait se baisser au passage des ponts.
Et enfin les péniches automotrices. (On doit d'ailleurs les
premières péniches auto-tractées, à un Ardennais Henry Bauchet de
Rethel)
On pourra voir cette page qui recense quelques
bateliers
de Pouilly ou de passage.