Les dégâts des eaux
Les crues
Les crues de Meuse jusqu'au début du XX ème siècle
n'étaient dues qu'à l'abondance de précipitations, accompagnées au
printemps de la fonte des neiges.
Nos crues
actuelles ont les mêmes origines mais sont aggravées par des facteurs
anthropiques :
La "bétonisation" des villes, la compacité des terres labourées trop
profondément, l'utilisation massive de produits phytosanitaires qui
dépeuplent la terre de surface, et la suppression intensive des haies,
ralentisseur naturel de l'écoulement des eaux.
La fonte précoce des neiges vosgiennes liée au réchauffement
climatique, aggravent encore cette situation.
Jean Pierre Penisson (Société
d'histoire naturelle des Ardennes,
SHNA)
dans une lettre du 07/01/1991 au maire de Bogny-sur-Meuse (08), avec
copie au préfet des Ardennes expliquait déjà ces phénomènes. En voici
un
résumé :
"La première explication est l'absence ou presque de dragage de la
Meuse... même si la rentabilité de l'opération est loin d'atteindre
celle de l'extraction de sable de ballastière.
La deuxième est la conséquence du drainage des terres en amont, de la
suppression des haies, des coupes à blanc.
La troisième est l'anarchie des modifications de la plaine alluviale."
Remblais, goudronnage, bétonisation à outrance, mise en culture
irraisonnée par les remembrements.
Un centimètre de précipitation sur un parking d'un hectare, (100 m sur
100 m) engendre 100 litres d'eau de ruissellement.
Les affluents de la Meuse n'ont pas changé, mais le nettoyage sauvage
des berges a accéléré la vitesse d'écoulement. Chaque
riverain préférant léguer le trop-plein à son voisin d'aval.
Une commission
d'enquête de l'assemblée nationale, suite aux trop
nombreuses inondations en France a accouché du rapport no 1641
"Inondations : une réflexion pour demain" sous la houlette de
Philippe
Mathot, président et
Thierry
Mariani rapporteur.
Notre région a bien sûr fait l'objet de leur attention. Leurs
conclusions rejoignent celles évoquées ci-dessus.
On pourra se référer à l'ouvrage de
Maurice
Champion (1824-1878) : "Les inondations en France du VI ème
siècle à nos jours" Tome V.
Les crues de 1245,1302,
1333,1639,
1711,1734,
1740,1758,
1778, 1784,1814,1836,1840,1854, 1876 sont les plus
notables.
Plus prés de nous celles de 1880,1910, 1920, 1926, 1941, 1947, 1955,
1983,1984, 1991, 1993,1995, n'ont rien à leur envier.
D 'après les observations de M. l'ingénieur en chef de Mardigny sur les
effets des inondations de la Meuse et son régime en France on peut
rajouter :
Débordements de la Meuse ou de ses affluents en : 1118, 1068, 1142,
1225, 1230,
1237.
Forte crue de la Meuse, en
1333. Grandes crues de la Meuse, en 1639, 1697,
1734, 1740, 1758, 1774, 1784. - Hauteurs extraordinaires des eaux de ce
fleuve, en 1814, 1836, 1840, 1844, 1845, 1846, 1850, 1854, 1861, 1862.
D'autres crues nous sont connues par
les annales de la ville de Liège.
Elles font mention aux
XV ème et XVI ème siècles de quelques grandes inondations de la Meuse,
dont on ne retrouve aucune trace sur le cours supérieur du fleuve,
appartenant aujourd'hui à la France. Cependant, il n'est pas
invraisemblable de croire qu'elles aient pu s'y faire sentir, et c'est
pourquoi nous croyons (dixit Maurice Champion) devoir rapporter les
extraits suivants d'un historien de Liège, Bouillé, "Hist. de la ville
et pays
de Liège" 3 vol. in-f°, Liège, 1725, t. II, p. 74, 345, 414 et 452".
1463 "Il arriva une inondation
prodigieuse. Le faubourg de Sainte-Marguerite regorgeait si
prodigieusement d'eaux boueuses, qu'après qu'elles furent retirées,
elles laissèrent un limon de la hauteur d'un homme ; de là, étant
venues avec furie dans la cité, elles gagnèrent le maître-autel de
l'église
Saint-Séverin, puis entraînant tout ce qui se trouvait sur leur
passage, elles portèrent la désolation jusqu'à l'extrémité de la ville.
".
1541 " Au mois d'avril, les
eaux vinrent fondre dans la ville, d'une telle furie, que depuis la
porte Sainte-Marguerite jusqu'à la rue du Pont, c'était ni plus ni
moins qu'une rivière navigable ; les eaux qui descendaient de
Pierreuse, comme des torrents, ayant gagné le palais, furent inonder la
cathédrale, levèrent le pavé de marbre, et les eaux poussèrent jusqu'au
maître-autel. ".
1560 " Cette année fut très
affligeante pour le pays, à raison des fréquentes inondations causées
par des pluies continuelles, qui désolèrent si généralement les villes
et les campagnes, que l'évêque, considérant que c'était la troisième
année de stérilité de vin, obligea les créanciers de remettre une
partie des cens à leurs vignerons. ".
1571 " L'hiver fut si âpre,
depuis la fin du mois de novembre, que les rivières furent comme
pétrifiées. Cette gelée fut suivie, au printemps suivant, d'une espèce
de déluge, dans la cité et les lieux circonvoisins, qui fut causée par
les débordements de la Meuse, de l'Ourthe et de la Vesdre ; elles
vinrent fondre d'une telle furie, qu'elles entraînèrent le pont
d' Amercœur : on voyait les maisons et les chapelles marcher, pour
ainsi dire, sur ce corps fluide ; la ville était si inondée de toutes
parts que quantité de familles furent contraintes de gagner les toits
des maisons, de sorte qu'on leur faisait passer de quoi manger au moyen
de longues
piques. ".
L'
abbé Arnauld constate, dans
ses mémoires, qu'en
1639, en
moins de six heures, une effroyable inondation de la Meuse, à Verdun,
emporta presque tous les ponts et une grande partie des maisons d'une
rue proche de la rivière.
Pendant l'été de
1697,
l'abondance des pluies fit
déborder la Meuse, qui, suivant le docteur
Fuster, grossit de 7 pieds en une seule
nuit.
Au commencement du mois de juillet
1734,
les pluies firent déborder la Meuse, dit encore, sans autre détail, le
même
auteur. "Des changements dans le climat de la France, p. 342 et p 350".
Une lettre de Charleville, datée du 21 octobre
1740, et insérée dans une gazette,
s'exprime en ces
termes:
" La Meuse grossit à vue d'œil et charria toute sorte d'effets, des
grains en gerbes, des chanvres, des fumiers, des meubles de toute
espèce et jusqu'à des bois de lit tout montés, sans qu'on sache encore
la cause de ce désastre. Il n'y a pas de doute que cette cause ne
provienne, soit d'une inondation de la Meuse, puisqu'il est tombé à
Charleville de grandes pluies, et qu'il doit en être tombé beaucoup
plus sur la Haute-Meuse ; les débordements de cette rivière sont les
plus considérables qu'on ait jamais vus. Toute la ville basse de Verdun
a été inondée. " Journal historique, décembre 1740, p.461 et février
1741, p. 154.
En
1758, selon M. Henri
Lepage, la Meuse resta débordée les 8 et 9 août.
A propos de la crue de
1770 en
plein été, le curé de Létanne écrit : "Le 28/07/1770 la riviere de
Meuse
est enflée et a débordée la nuit du dimnche au lundi 29 au point que
l'eau est entrée dans le jardin du presbytère de Lestanne de près d'un
pied de haut a enlevé garnde quantité de foin de la prairie de Stenay
et des prairies vers Verdun et par labas du partage, a enlevé quantité
de bois et a été sur les prés jusqu'au 6 eme jour d'aoüt".(AD08 Letanne
1770-1792 4/154)
La crue de
1778 à Pouilly,
nous est connue par un acte de courage relaté dans le journal politique
la Gazette de cette année là :
"Le débordement de la Meuse a donné lieu à un trait de courage et de
sang-froid qui mérite d'être
connu.
Le 28 octobre, vers les 3:00 de l'après-midi, on fut surpris au
village de Pouilly, près de Mouzon, par une crue d'eau si considérable
et si rapide, que la Meuse, qui était encore dans son lit, se répandit
en moins d'une heure dans toutes les prairies, et qu'avant la nuit, ses
eaux s'étaient élevées de plus de quatre pieds. (en gros 1,20 mètre)
Les chevaux des
laboureurs étaient alors en pâture de l'autre côté de la rivière.
Parmi
les domestiques qui s'empressèrent de les ramener, Marie-Françoise
Nanin, servante de Pierre Gouverneur, âgée de 14 ans, étant revenu chez
son maître pour y prendre un cheval plus doux que celui qu'elle
montait, trouva l'eau extrêmement augmentée à son retour au-delà des
ponts.
Le danger ne l'arrêta point.
Elle noue sa coiffe sous le menton,
attache à un de ses bras le licol du cheval et le pousse en avant ; un
instant après, la jeune villageoise est engloutie avec sa monture, et
entraînée par la violence du courant à environ 150 toises. Quoique
submergée, elle essaie de remonter sur son cheval, qui étant à la nage,
la culbute autant de fois et la renverse sous lui.
Enfin le cheval
touchant à la rive, la fille avertie par le mouvement qu'il faisait
pour sortir de l'eau, le retire, elle s'élance dessus et échappe ainsi
au péril imminent qui la menaçait.
Cette enfant fut ensuite recueillie
par Jean-Baptiste Normand, batelier et conduite chez M.
Duhoux,
curé de Pouilly, qui la fit réchauffer et saigner.
Le lendemain, elle n'avait aucun ressentiment de son accident."
L'hiver de
1814, au mois de
janvier, il y eut un débordement
considérable de la Meuse. Le 11 décembre, les eaux parvinrent à 3 m10,
et submergèrent le quartier de cavalerie, que l'on fut obligé
d'évacuer.
En
1840, deux fois le niveau
du fleuve, dans la même ville, atteignit la cote de
3m, le 29 janvier et le 1er novembre.
Les comptes de la mairie de Pouilly précisent qu'un secours aux inondés
de 20,35 fr a été voté.
Le 27 février
1844, la Meuse
s'éleva, à Verdun, à 3.20 m
Aux mois de décembre 1845 et janvier 1846, de fortes
crues de la Meuse se manifestèrent.
Une lettre de Liège disait :
" La Meuse, dont la crue avait paru cesser, a recommencé à monter de
nouveau pendant la nuit. Cette inondation est la plus forte que l'on
ait éprouvée depuis 1784 ; mais elle est encore restée 0m75 au-dessous
de celle de 1740. "
Cette crue se fit sentir à Sedan, d'où l'on écrivait :
" La Meuse a franchi son lit et a fait irruption dans la ville avec une
abondance qu'on ne lui avait point encore connue jusqu'à ce jour. Dans
certains quartiers, les caves et les rues sont inondées ; la
circulation est interceptée sur plusieurs points, quelques maisons sont
cernées par les eaux et les habitants sont bloqués dans leurs
logements. " Moniteur du 2 février 1846"
En
1854, durant l'été, la
Meuse subit une forte crue, dont la hauteur maximale fut, le 8 juin, de
2m47, à Verdun.
Elle présenta, sur tous les points de son cours, en France, les plus
hautes eaux connues, dans cette saison.
La crue qui se manifesta, en
1856,
à la même époque, doit être également considérée comme exceptionnelle ;
elle ne fut, à Verdun, que de
0m,09 inférieure à celle de 1854, et resta partout en contre-bas de
celle-ci dans les mêmes proportions.
Une lettre de Dun, du 10 janvier
1861,
disait :
" Avant hier matin, les habitants ont trouvé l'eau de la Meuse, qui
déjà était grosse, élevée de plus d'un mètre et demi ; elle envahissait
toutes les parties basses de la ville et n'a cessé de croître jusqu'à
11 heures du soir, moment où elle a atteint la limite de 4 mètres.
Moniteur du 14/01/1861.
On lisait dans les journaux des premiers jours de février
1862 :
" Les départements du Nord et de l' Est de la France et la vallée de la
Meuse (Belgique), ont été désolés, le 30 janvier et les jours suivants,
par des inondations que faisaient pressentir les pluies de la semaine
dernière. Courrier du Nord (Moniteur du 6 février 1862).
A en croire l'ingénieur en chef Mardigny, les inondations de la
Meuse, en France, ne présentent pas, en réalité, un caractère bien
calamiteux. ".
Elles sont de deux sortes, dit il :
"Les inondations d'hiver, qui ne sont jamais nuisibles, et qu'il
faudrait bien se garder de supprimer, le limon déposé par les eaux
étant éminemment fertilisant.
Les inondations d'été, généralement beaucoup moins considérables (1856
a fait exception) que celles d' hiver . Elles causent de grands
dommages aux foins et aux regains. Dans aucun cas, les habitants n'ont
à souffrir des inondations ; partout les villages et les maisons
d'habitation sont en contre-haut des plus hautes eaux ; par cela même
que les habitants ne souffrent pas des grandes crues, on se préoccupe
assez peu des inondations d'hiver, qui, comme je l'ai dit, sont les
plus fortes. ".
Comme complément à ces observations, ajoutons les détails donnés par M.
Armand
Buvignier, sur le régime de la Meuse française :
" Dans les hautes eaux,
dit-il, le volume de la Meuse s'est élevé, à Verdun, à 799 m3. Les
berges de ce fleuve sont généralement basses. Elles s'élèvent
quelquefois à
1 m ou à 1 m 50, rarement à 2 m au-dessus de l'étiage. La prairie étant
très large, les crues ont peu de hauteur ; elles atteignent
1m20 ou 1 m 25, à Tilly ; 2 m à Stenay ; à
Troussey, les eaux s'élèvent, en amont du pont-canal, à 3 m au-dessus
de
l'étiage et à 1m au-dessus de la prairie. Dans la traverse de Verdun,
où la rivière est plus resserrée, elles vont quelquefois jusqu'à
3 m 56. La Meuse croît très rapidement, mais elle décroît avec plus de
lenteur. Elle est souvent 10 ou 12 jours avant d'être rentrée dans son
lit. Les eaux généralement limpides se troublent dans les débordements.
Ceux-ci sont assez fréquents du mois d'octobre au mois d'avril, mais
dans cette saison, ils causent peu de dommages. Il n'en est pas de même
de ceux qui surviennent quelquefois au mois de juin. Un limon fétide,
qui, versé plus tôt sur la prairie, eût été pour elle un riche engrais,
s'attache aux plantes et les rend tout à fait impropres à la nourriture
des animaux. D'autres fois, ces crues survenant au moment de la
fenaison, entraînent le fourrage déjà coupé ou y développent une
fermentation putride. " Statistique géologique, minéralogique, etc. du
département de la Meuse, 1852, in-8, p. 27.
Pouilly a connu toutes ces crues.
En 1991/1992 un projet farfelu contre les inondations voit le jour.
C'est le
barrage sur
la Wame. Une levée de boucliers le fera heureusement capoter.
En 2006 un organisme l' EPAMA, créé en 1996, engage des travaux pour
atténuer l'importance des crues. Voir cette page
EPAMA.
En janvier 2018, une crue met à l'épreuve les protections de l'EPAMA.
Si le mur fait son office, les clapets anti-retour ne semblent pas
fonctionner correctement. L'eau envahit le bas de la rue de la cure.
Les résultats sont donc peu probants, tout au moins à Pouilly, qui se
sent
sacrifié par la protection de l'aval.
Les noyades
On peut les ranger parmi les dégâts des eaux. Elles furent si
nombreuses qu'une page
noyades
leur est consacrée.