L'agriculture à Pouilly
L'agriculture était l'activité principale de nos ancêtres. Elle était
vivrière
A la campagne, tous, de prés ou de loin, participaient aux travaux des
champs.
Le forgeron, le savetier, le meunier, même le curé travaillaient la
terre. Il fallait bien vivre (ou survivre)
Les différences d'état ne sont pas faciles à appréhender.
En effet en lisant les actes d'état civil ou paroissiaux, on trouve
laboureur, cultivateur, agriculteur, fermier, censier etc. Ces
qualificatifs évoluent avec le temps, mais on peut dire que :
Un laboureur est le plus souvent un paysan qui possède sa parcelle et
exploite plusieurs hectares. Il a un cheval ou des bœufs et une charrue
qui lui permettent de retourner la terre et d’effectuer tous les
travaux de labourage. Il peut également labourer pour d'autres moins
favorisés.
Mais on parle aussi de laboureurs à bras, donc de brassiers,
manouvriers .
Le cultivateur désigne celui qui cultive la terre, le plus souvent pour
le compte d’un propriétaire. Le terme apparaît dans les actes, vers le
milieu du XVIIIe siècle et petit à petit va supplanter celui de
laboureur, sans faire la distinction de ses moyens propres.
Mais un laboureur aisé, pouvait quelques années aprés se retrouver
manouvrier ou domestique. Les propriétaires donnaient des baux que
personne n'accepterait maintenant !
C'était par exemple le bail à demi-fruit. Il fallait rendre la moitié
de la récolte.
Ou des baux en argent sonnant et trébuchant, mais si il n'y avait rien
à vendre, ou si la monnaie avait été dévaluée, ces baux ruinaient le
paysan.
La lenteur d'évolution de la culture est due aussi au caractère de ses
acteurs.
Pourquoi changer une méthode qui fonctionne bon an, mal an, depuis des
siècles ?
L'assolement triennal, les communaux, le troupeau collectif, le peu de
prairies artificielles fonctionne. Pourquoi changer ?
Un exemple :
L'usage de la faux en remplacement de la faucille ne s'est fait que
doucement. En effet la faux nécessitait une force que les femmes, main
d'œuvre gratuite ou presque, n'avaient pas.
Même au XIXe on préférait accéder à la propriété, ou agrandir
l'exploitation que l'industrialiser. La destruction de la vigne,
l'importation de blé à bas coût, a mis à mal les finances de nos paysans
Seuls quelques grands propriétaires pouvaient se permettre
d'expérimenter de nouvelles méthodes.(Prairies artificielles, nouvelles
semences et races d'animaux, mécanisation etc.)
Raymond Léon
Monod
devait être de ceux-là. Quand le mobilier de culture de la ferme de
Prouilly est vendu le 15/04/1883, le Petit Ardennais fait l'inventaire
du matériel et du bétail :
I. - 20 chevaux, 4 juments pleines, 3 juments avec leur poulain,
une jument propre à la selle et à la voiture, une pouliche, 3 poulaine
II - 26 vaches et bœufs dont 5 vaches pleines, une vache grasse, une
génisse, 11 bœufs de 4 ans, 6 gros bœufs gras de 4 ans de bœufs de 2
ans.
III - 80 poules et coq et 100 pigeons
IV - Une belle voiture neuve à 4 roues,
V - 2 belles selles neuves
VI - 3 chariots, 2 tombereaux, charrette, petite voiture à ressort.
VII - Instruments aratoires de la maison Pilter de Paris. Moissonneuse,
faucheuse, râteleuse, faneuse, grands semoirs, petits semoirs,
voiture-tonneau pour purin, extirpateur, concasseur, rouleau-croquille,
coupe racines, machine à laver les pommes de terre, hache-paille, 2
charrues fouilleuses en fer, 8 herses en bois, 3 houes etc.
VIII - Une forte bascule à peser les bestiaux.
IX - Une batteuse en excellent état.
X - Du mobilier de ferme : buffet, armoires, chaises, lanternes,
buanderies, chaudières, tonneau à lessive, 3 barattes, couveuse
artificielle, gaveuse pour volaille, 5 lits de domestiques etc.
XI - Mobilier d'écurie ; Pharmacie pour chevaux et bestiaux, harnais,
couvertures, sangles etc.
XII - Mobilier de jardin : Pompe mobile, palissades, grillages, outils
etc.
XIII - Boîte à graisses, tonneaux vides, caisses, échelles etc.
XIV - Environ 50 sacs de guano
XV - Environ 200 bouteilles de vin fin
XVI - Une boutique de maréchalerie complète
XVII Une boutique de menuiserie ayant tous les outils.
On voit que la ferme était importante. C'est une exception dans notre
village.
Les 26 et 27/10/1884 c'est le train de culture de la ferme de
Prouilly-Neuve qui est vendu à la requête de Mme veuve Renard-Macot,
propriétaire à Sedan. Là encore le Petite Ardennais du 20/10/1884 nous
donne le détail de la vente :
- 13 chevaux, juments et pouliches
- 12 vaches fraiches à lait
- 5 bœufs de 4 ans
- 8 godins de 1 an à 18 mois
- 1 taureau de 2 ans
- 6 génisses de 1 an à 18 mois
- 75 poules et volailles.
- très bon matériel de culture
- Boutique de maréchalerie
- Belle cuisinière en fonte, horloge, tables, baratte, objets mobiliers.
- 32 stères de bois, 500 fagots.
On y apprend que c'est M. Louis Gillet, ancien instituteur qui est
régisseur de la ferme et à qui il faut s'adresser pour tous
renseignements.
René
Dumont
dans son ouvrage "Voyage en France d'un agronome". 1951 Librairie de
Médicis, nous livre ses réflexions sur les activités de Pouilly et de
la région de la fin du XIX ème au milieu du XX ème. Le texte est
technique mais je le reproduis in extenso pour les lecteurs versés dans
le domaine de l'agriculture et l'élevage.
Le vignoble disparu, les manouvriers sans travail partirent, surtout au
chemin de fer, puisque la commune à une gare. D'autant que régressent
en même temps des activités manuelles ou artisanales. Autrefois, après
l'arrachage des pommes de terre et la vendange d'octobre, venait le
battage au fléau, qui conduisait au cœur de l'hiver. Il y avait
plusieurs sabotiers dans le pays ; et même 25 à Beaumont dans les
Ardennes restés plus frustes à beaucoup de points de vue, dans sa
ceinture de forêt. Une paire de sabots, en bouleau, érable ou hêtre, se
vendait 12 sous ; il y avait trois sous de bois, une bonne heure de
travail, les outils ; et il fallait l'apporter au marché de Stenay ou
de Carignan. On ne connaissait que le sabot de bois avec seulement une
bride de cuir posée par le client. Le sabot tout recouvert de cuir
n'apparaît qu'en 1890. Le brodequin est ici utilisé de temps immémorial
pour les travaux des champs ; le sabot se porte l'hiver, dans la cour
de la ferme ou le village, pour patauger dans la boue.
Mars ramenait notre manœuvre aux vignes, puis venaient les foins et la
moisson, entièrement coupée à la faux. On gagnait 25 sous par jour vers
1890, 40 sous en 1914. L'arpent de 100 verges (près de 39 ares) était
fauché pour trois francs vers 1880. Quand un patron commença à la fin
du siècle à payer cinq francs, il fut sévèrement critiqué par ses
collègues. Mais la paire de souliers coûtait huit francs, on mangeait
de la viande de boucherie une fois par ans chez les pauvres, tous les
dimanches chez les riches. On échangeait chez le brasseur un sac d'orge
(1 hl) contre 1 hl de bière. Le manœuvre n'était pas un prolétaire.
Ainsi la maison du père Lequy comprend une étable qui a abrité
plusieurs bovins et porcins. Il élevait une ou deux vache, engraissait
un à deux cochons. L'été il faisait des journées à la vigne et pour le
cultivateur.
À la fin du 19e, il y avait à Pouilly une quinzaine de familles de
manœuvre. Ne possédant pas de chevaux, elles faisaient labourer par
leur laboureur, mais continuèrent plus longtemps que lui à battre au
fléau, parfois jusqu'en juin. Elles cultivaient une petite surface,
mais intensivement, avec une proportion plus élevée de plantes sarclées
(pommes de terre pour eux et pour les cochons, betteraves pour leurs
vaches) et de prairies artificielles ; trèfles, luzerne et surtout
sainfoin. Cette dernière plante, si mellifère, dans les souvenirs du
père Lequy colorait encore en rouge une bonne part de la côte de
Pouilly, au début du recul de la vigne. La proportion des céréales
était chez eux plus faible. Ces manœuvres louaient volontiers une
partie des 45 ha de prés de la commune, situés dans le large ruban de
la vallée de la Meuse. Avant qu'on connût les artificielles, ceux-ci
furent la seule source de fourrage. Les manœuvres de Moulins et
d'autres villes (et même les agriculteurs de ces communes, si on
remonte plus arrière) venaient aussi en louer : ces prés avaient alors
une valeur foncière et locative relativement élevée. Aujourd'hui on
préfère à juste titre, dans ces villages, faire des artificielles ; et
ils n'ont plus de manœuvre.
En 1937, Pouilly comptait encore trois manœuvres, avec respectivement
1, 1,5
* et 2 ha de terres
labourables ; dont 12, 40 et 77 ares de blé.
Dès 1939, ils disparaissent ; il n'y a plus depuis que des ouvriers
agricoles étrangers au pays, non propriétaires, totalement prolétarisés
; cette classe a entièrement disparu.
Après des manœuvres, vient le tour des petits exploitants. Il y avait
une bonne trentaine de cultivateurs vrais, c'est-à-dire pourvus
d'attelage, vers 1880 ; il en reste 22 en 1944, 17 en 1937 ; 15 en
1950, dont sept fermiers et huit propriétaires. À la fin du XIXe
siècle, il y avait encore beaucoup d'agriculteurs à deux chevaux, ce
qui était court ici pour labourer les terres fortes ; et surtout monter
sur les routes en forte pente, comme la sortie du village, les
tombereaux du lourd fumier lorrain, que pluie et purin gorgent
d'humidité. Ces deux chevaux ne cultivaient guère que 6 à 7 ha de
terres labourables, de sorte qu'une proportion excessive des surfaces
était alors affectée à l'entretien du cheptel de trait. La ferme à un
cheval de Beauce ou de Champagne, avec 10 ha de terres labourables, et
bien plus favorisée. Mais beaucoup étaient des juments et les poulains
constituaient une bonne recette.
En outre, le débardage des bois, et surtout la traction des bateaux sur
la Meuse apportaient à certains de ces "bricoliers" ou "arcandiers" des
suppléments appréciables de recette.
il ne reste plus à Pouilly qu'une ferme de deux chevaux, exploitant 15
ha dont 7 de terres labourables. On estime en 1950 qu'au-dessous de 20
ha, on ne peut s'en tirer. Souvent le petit à une proportion plus
élevée de terres labourées. Mais il ne cherche pas assez à améliorer
ses chevaux, son cheptel ; il est trop résigné dans sa misère ; et le
fils dégoûté rengage au régiment. Tous les autres ont au moins les
trois chevaux nécessaires à un bon labour, ce qui élève le minimum de
surface exploitée. Ce sont d'abord trois fermes d'une vingtaine
d'hectares, dont 6 à 7 labourées ; trois d'une trentaine, dont 11 à 18
cultivés ; une de 35, 2 de 40 ha, labourant de 14 à 22 ha. Il y a enfin
les quatre grandes fermes isolées ; de 80 ha avec 26 et 30 ha cultivés
; deux d'une centaine d'hectares avec 35 à 45 ha de labour. C'est parce
qu'ils n'ont presque plus de petites exploitations (car ils n'en ont
pas tant de grandes) que la Meuse et les Ardennes arrivent
respectivement au troisième et au quatrième rang des départements
français, classés par dimension moyenne des exploitations agricoles.
La ferme type du village de Pouilly tend vers les 30 ha, à peine moitié
en terre, avec quatre juments (une attelée de trois, une pour la cour),
7 vaches et 15 élèves (?), moissonneuse-lieuses et batteuse
individuelles, employant deux hommes et une femme. La taille
d'exploitation plus élevés et la densité très inférieure des
travailleurs, par rapport à la Bretagne, confirment que nous sommes
déjà ici dans la grande zone ruralement dépeuplée de la France. Déjà
vient de naître dans ce village une intéressante forme de groupement
familial de trois fermes de cette taille, utilisant en commun les
services d'un tracteur assez puissant pour tirer 2 socs ; car c'est le
manque de main-d'œuvre, et non de chevaux (régions d'élevage de
l'ardennais) qui pousse à la traction mécanique. Mais les fermes de ce
village lorrain resserré entre la Meuse et la côte, manquant d'une
sortie par derrière, sont déjà peu pratiques pour 30 ha. Leurs
bâtiments ne sont guère adaptables au groupement d'exploitation de 80 à
100 ha ; ce village n'a pas été bâti pour cette structure, qui du reste
ne fait que s'esquisser lors de sa reconstruction partielle qui engage
trop l'avenir, gênera bientôt l'évolution progressiste en cours. Par
cette seconde concentration, un groupe de fermes du bourg vient de se
hausser à la taille des quatre grandes fermes isolées de la commune.
Comme en Marais-poitevin, Aunis… les deux tailles d'exploitants,
autrefois nettement distinctes, tendent à se rejoindre ; tandis que la
troisième classe sociale, le manœuvre-vigneron a disparu.
Arthur Young
(1741-1820) dans "Voyages en France pendant les années 1787-88-89 et
90", Paris : Buisson, 1794, note qu'à Mars-la-Tour (près de Metz) note
: "à 4:00 du matin, le
berger du village sonnait son cor, et rien n'était plus drôle que de
voir chaque porte vomir ses moutons et ses porcs, quelquefois des
chèvres".
J'ai vu dans mon enfance vers 1913-1914, les bovins de Douzy
(Ardennes) rentrer le soir du communal, et retrouver aisément leur
étable ; il en était de même à Pouilly. Les prés communaux étaient
loués, mais le troupeau commun pacageait deux jours durant les chaumes
d'avoine, jusqu'en 1914. On y semait du trèfle, et le berger inquiet
de ses responsabilités a plus d'une fois alerté à tort les cultivateurs
; il voyait toujours les vaches gonflées, météorisées. Seuls subsistent
comme pratiques communautaires, qui enserrent ces villages dans un
réseau très rigide, l'affouage et la vaine pâture, après première
coupe, sur les prés de la vallée. Beaucoup d'entre eux reposent sur de
pauvres grèves, qui donnent un maigre regain ; on juge la pâture de la
repousse plus avantageuse que sa coupe, trop difficile à faner ; elle
se fait en commun. Mais nombre d'agriculteurs ne mettent pas d'engrais,
de peur que la collectivité n'en profite un peu. La partie de ses prés
appartenant à La Wame, qui recevait des engrais avant-guerre, marquait
encore, après huit ans sans fertilisation, un rendement supérieur.
Muni de très longue date de ses prés de la basse vallée inondable, le
nord de la Meuse a étendu la prairie naturelle sur les labours plus
tard que les Ardennes voisines. En 1895, Joseph Malot a Luzy crée des
pâtures après apport massif de chaux venant de ses fours. En 1903,
Caquot de Vouziers venant voir Praétégut à Martincourt lui dit : "Vous
avez montré à vos voisins comment faire des céréales, il faut
maintenant leur apprendre à créer des pâtures."
1903-1914 marque une grande extension des parcs dans la région,
mais les villages de la vallée même, ne suivent qu'avec retard. A
Pouilly, seuls deux agriculteurs en ont créé avant 1914. La grande
majorité des 200 ha de pâture de la commune datent d'après 1920,
période de grande extension ; tandis que la plupart des 200 ha de près
naturel de fauche, sis dans la vallée, remontent fort loin.
Prenons la matrice cadastrale de La Wame, en 1865. Sur 72 ha, tout est
alors en terre, sauf deux pâtures le long du ruisseau du même nom, dans
un fond parfois inondé ; en tout, 9 ha ; plus 2,5 ou 3 ha sur la
prairie du val de Meuse. Aujourd'hui la pâture à remonté jusqu'en
lisière du bois de Jaulnay, occupant 60 ha, dont cinq près de la Meuse,
sur les 80 que compte la ferme. Mais plus encore que ceux du val de
Sambre, les prés de la Meuse sont peu à peu dégradés par l'exhaussement
du lit de la rivière. Jusqu'en 1914 on draguait ; depuis quand les
bateaux raclent le fond, au lieu de le curer, les ponts-et-chaussées
trouveraient plus simple de remonter de 10 cm le niveau du barrage. Les
bateaux à hélices provoquent des remous arrachant le limon des
berges, qui va envaser ensuite les endroits calmes. Déjà 15 ha de
riches près sont perdus par excès d'eau ; d'autres se dégradent,
envahis par la spirée ulmaire, les joncs, les carex, en amont comme
en aval ; il est grand temps de réagir.
La répartition obligatoire du terroir labouré en trois soles, blé,
avoine et versaine ou jachères, que nous verrons persister en
Haute-Marne à subsisté ici jusqu'en 1920. La versaine, qui fut le seul
précédent du blé, recevait autrefois quatre labours : verser, rabattre,
recouper, recouler. Pour tenir la propreté des terres sans elle, il
faudrait déchaumer tôt. Depuis le début du XIXe siècle, une partie de
la sole de versaine recevait le trèfle et les plantes sarclées. En
1937, ces deux groupes de cultures (en y ajoutant les féveroles)
totalisent 35 ha, la versaine autant. Il n'y a donc plus d'équilibre,
en face des 150 ha de blé et seigle, et des 150 d'avoine ; l'assolement
triennal classique est rompu, par extension des céréales sur la sole de
jachères.
Une agriculture plus intensive l'eût entièrement occupée par des
cultures sarclées et fourragères. On a bien fait à la fin du XIXe
siècle de la betterave à sucre, menée en voiture jusqu'à la sucrerie de
Douzy, à 20 km. On ramenait les pulpes pour le bétail. Mais le départ
des manœuvres n'a pas permis de poursuivre cette culture intensive. La
distance de transport, le coût des façons, accru quand on remplaça les
ouvriers du pays par les saisonniers "camberlots" (de la région de
Cabrai; ils tissaient l'hiver) plus exigeants, la firent
abandonner vers 1900. La terre forte n'appelle pas ici la pomme de
terre comme en Ardennes ou même à Martincourt, au sol plus léger.
Riche de ses prés naturels, Pouilly fait peu de légumineuses
fourragères. La statistique de 1937, à côté de 417 ha de prés et
pâtures, de 150 d'avoine et 140 de blé, ne compte que 12 ha de trèfle,
6 de luzerne et 2 de sainfoin. C'est là une trop faible proportion.
Les champs éloignés, qui ne reçoivent pas le fumier, bénéficieraient
grandement d'un retour plus fréquent de ces légumineuses qui remontent
de la profondeur les éléments nutritifs et fixent de l'azote ; mais il
faudrait préalablement chauler, surtout dans les terres blanches. On a
bien chaulé autrefois et même plâtré. Les premières applications firent
merveille ; puis on y a renoncé : le plâtre était falsifié, il ne
faisait plus d'effet dit le père Léquy. Avant cette guerre on employait
les scories de déphosphoration des proches mines de fer de l'Est,
mais timidement. L'oolithe, qui affleure en beaucoup d'endroits,
pourrait fournir à peu de frais de transport et d'écrasement du
calcaire broyé. Soulignons le fait que la surface en avoine reste
alors supérieure à celle du blé ! Ceci ne se voit que dans le Nord-Est
; en Lorraine triasique le rapport a même été vers 1890
jusqu'à deux d'avoine pour un de blé. Un tiers seulement des céréales
(le blé ; et on retirait encore la consommation de la ferme) était
alors
vendu pour deux tiers (l'avoine) auto-consommée. C'était la misère,
jusqu'au jour où l'on a couché en herbe ces terres trop argileuses.
Le bétail bovin est désormais la richesse essentielle. À la fin du XIXe
siècle, chacun faisait son beurre, vendu 18 sous la livre aux marchés
voisins. Avant cette guerre, la laiterie de Margut ramassait toute la
crème des 165 vaches laitières de la commune, sur un total de moins de
500 bovins de tous âges. L'ancienne race du pays, de robe souris, a été
rendue pie rouge vers 1880, par croisement avec la race Durham,
sous l'impulsion des sociétés d'agriculture d'arrondissement. M. Gobert
a ramené vers 1890 les premiers taureaux hollandais
** ; les veaux
étaient
trop gros pour leur mère, il y eut des accidents. La société
d'agriculture de Dun-Stenay envoyait des délégués acheter des
reproducteurs en Hollande et les revendait aux enchères. Aujourd'hui on
ne connaît plus que la pie noire hollandaise, et le contrôle laitier
reprend dans la région pour remonter vite à la qualité du cheptel, que
la dispersion de 1940 avait compromise.
La disparition des manœuvres et des petits exploitants fait dire au
père Léquy et à M. Guichard, l'ancien maire (Clément Guichard), que le
nombre des vaches à
reculé. C'est vrai dans le village, où la densité de cheptel était plus
forte en petites fermes ; cela paraît douteux pour l'ensemble de la
commune, car les grosses exploitations ont accru le leur en proportion
de leurs prés. Pouilly comptait 75 chevaux de plus de trois ans (contre
45 élèves) en 1937, pour 380 ha de terres labourées ; un pour 5 ha de
labour, près du double de la Beauce ; mais la fenaison leur demande du
travail, sur 200 ha de prés de fauche.
* René Dumont signale qu'il s'agissait "du père Launay, mort depuis, à
qui chaque matin à La Wame il fallait donner la goutte, sans laquelle
il
n'eût pu se mettre au travail".
**On constate dans le budget de 1849 qu'il existait un taureau
communal.
Son entretien coûtait alors 322,40 francs. On retrouve cette dépense
dans les budgets suivants.
Et aujourd'hui ?
Aujourd'hui les petites fermes ont disparu. Le remembrement est passé
par là. Les exploitations se sont agrandies; le rachat de terres a
parfois mis en péril les finances de certains un peu trop gourmands. La
taille des parcelles a forcé une mécanisation à outrance. Des GAEC se
sont créés avec plus ou
moins de succès. Les banques
elles, en ont largement profité. Le crédit "dit agricole" en est
l'exemple le plus affligeant.
La PAC (Politique Agricole Commune) a rendu les agriculteurs
dépendants,
et une administration tatillonne les éloigne de leur métier par des
paperasses, sans doute utiles mais trop compliquées.
L'élevage se perd au détriment de la culture céréalière. Colza, maïs
sont de plus en plus présents.
L'utilisation d'insecticides, désherbants, antibiotiques les
mettent en conflit avec les "bio" et les écologistes. Autre conflit
récurent, les importations de pays où la main d'œuvre est bon marché.
La consommation elle même a changé : Le lait, tout comme le pain ou la
viande, aliments de base sont maintenant remis en cause.
Si la météo a toujours été le souci premier des paysans, le dérèglement
climatique actuel n'arrange pas les choses.
Faudra-t-il un jour refondre tout ce système et envisager des cultures
moins consommatrices d'eau et d'engrais ? Le monde agricole est-il en
mesure de l'accepter et en a-t-il envie ?
Les cultures bio en 2019
sont encore marginales. A Pouilly Delphine Guichard s'est lancée dans
la production de légumes et de fruits.
En 2023 on redécouvre l'utilité des haies, détruites après le
remembrement. On envisage d'en replanter. On réinvente la roue !
Il ne reste plus au village que les fermes Guichard, d'en haut
et d'en bas, et les fermes champêtres de Saint Remy, les
deux Prouilly et La Wame, encore que cette dernière voit ses terres
louées et ne constitue plus une ferme au sens strict du terme.
A noter un petit métier disparu : Taupier.
Le conseil municipal du 22/03/1903 puis celui du 07/03/1905 donne
l'adjudication d'étaupinage des prés communaux à Drapier Émile avec
comme caution Édouard Gobert.
Un premier passage devra être fait dans les trois jours qui suivent
l'adjudication, puis un deuxième du 01 au 10/04, et un troisième du 01
au 08/05.
Les rongeurs étaient aussi une calamité. Le conseil municipal du
05/10/1910 verse 100 00 Fr de subvention au syndicat contre les
rongeurs.
A noter également, que le conseil municipal du 31/08/1905 demande à
l'administration forestière l'autorisation gratuite du ramassage de
faînes dans les forêts communales de Pouilly.
Pour quel usage ? Sans doute pour l'engraissement des porcs, car en
1906 las faînes ne faisaient plus partie de l'alimentation humaine.
Elles ne le furent d'ailleurs qu'en période de disette.
Il existait d'ailleurs comme pour le droit de glandée, un droit de
fenaîe.