Les cloches. Leur vie et leurs déboires.
La plus ancienne
La base Palissy du ministère de la culture nous apprend :
Cloche à Pouilly-sur-Meuse (55)
Catégorie : Fonderie de cloches
Edifice de conservation : église Saint-Martin
Lieu-dit : Pouilly
Matériaux : bronze
Description : Deux médaillons représentent le calvaire avec sainte
Madeleine et la Vierge à l'enfant.
Dimensions : h = 97 cm ; d = 99 cm; poids = 525 kg
Elle porte cette inscription :
"J'AY POUR PAREIN MESSIRE LOUIS JOSEPH, CHEVALIER DE L'ORDRE
CATHOLIQUE, BARON DE CHAUFOUR,
SEIGNEUR DE POUILLY-VILONES-QUINCY-NEPVANT, MONTCEUIL-LEMBUT
MESSINCOURT POURU AU BOIS ET POUR MAREINE
DAME LUCE LOUISE DE HEZUQUES SON EPOUSE. J'APPARTIENS A LA COMMUNE DE
POUILLY. ELLE MA FAIT FAIRE A SES
DEPENS."
1752 ALEXIS BARBIER M'A FAITE.
Auteur(s) : Barbier Alexis (fondeur)
Siècle : 3e quart 18e siècle
Date(s) : 1752
Date protection : 1989/07/24 : classé au titre objet
Statut juridique : propriété de la commune
Type d'étude : liste objets classés MH
Référence : PM55000471
Elle donne parait-il, un son sol dièse.
D'après Jeantin, ce Barbier serait originaire de Metz. En fait il
habitait Merles-sur-Loison (55) comme on peut le constater par un
contrat de mariage en date du 15/12/1760, dans lequel il est cité avec
Jeanne André de Marville. Il y est qualifié de "fondeur de métal".
(AD55 C 838)
Le 14/04/1735, il est dit "fondeur de cloches" et habite Merles. (AD55
C2150)
Il a aussi fondu celle de Jouy-en-Argonne pour l'église Saint Grégoire
et celles de l'abbaye de Châtillon. (L.Germain "Les fondeurs de
cloches Lorrains" et "Réunion des sociétés des beaux-arts des
départements" (Volume 32-33). Auteur Ministère de
l'éducation
nationale.
Le 06/02/1886 un courrier de l'évêché au préfet de la Meuse nous
apprend que la cloche doit être réparée.
"Permettez moi d'appeler de nouveau votre attention sur la délibération
du conseil municipal de Pouilly prenant à sa charge la dépense
occasionnée par la réparation de l'unique cloche de l'église de cette
paroisse."
En fait il s'agit de savoir si la municipalité doit contribuer à la
réparation de cette cloche qui sert aux cérémonies religieuses mais
aussi civiles. Je connais pas la suite de l'affaire...
Le budget de 1867 avait déjà accordé 68,50 francs pour la "réparation
de la cloche de l'église". Ce devait être insuffisant.
Le curé Henri Billet ne fait pas état du baptême de cette cloche en
1752. Il faut dire que Billet était assez léger dans son sacerdoce...
Il existe des exemples de baptême comme à Sailly (08) : "Le 24 juillet
1739 la bénédiction d'une cloche pesant 444 livres et demi payée des
deniers de la communauté de Sailly a été fait par M. le doyen de
Carignan, laquelle cloche a eu pour parrain Henri De La Pierre prêtre
docteur en théologie doyen curé du doyenné de notre Dame d'Yvois et
pour marraine dame Marie Catherine De La Pierre nièce dudit doyen et
épouse de messire Louis François de La Mock écuyer seigneur foncier de
La Ferté, lieutenant des grenadiers dans les troupes du Roi" (AD08
Sailly 1686-1757 188/273)
Ses pérégrinations
Emmenée durant la guerre de 14/18 par les Allemands, elle fut
retrouvée à Wiesbaden et remise en place par l'abbé Bardin (grand
rependeur de cloches comme l'appelait le chanoine Vigneron) en 1920.
C'est l'une des rares qui ait survécu à la razzia allemande et
c'est de ce fait la plus ancienne du canton de Stenay.
C'était déjà une rescapée. En effet dans l'enquête paroissiale de 1902,
François
Alfred Gilles
signalait qu'en 1815, les Allemands avaient volé deux cloches, laissant
la troisième, la moyenne, donc celle que nous connaissons.
Ce curé était arrivé à Pouilly en 1854 et avait donc sans aucun doute
connu des habitants témoins de ce vol.
Elle sera dépendue de nouveau suite à la 2ème guerre et en attendant
des jours meilleurs installée sur un
bâti de bois à gauche de l'entrée de l'église, près de l'épitaphe de
Nicolas Lambotin. Enfant de chœur je l'ai fait sonner bien des fois.
Lorsqu'elle fut montée dans le nouveau clocher une corde cassa. Elle ne
dut son salut qu'à des poutres d'étayage qui la retenaient et à
l'initiative de Claude Garin (1932-2017), menuisier à Pouilly.
La deuxième cloche.
La plus petite et la plus récente puisque baptisée le 21 septembre
1958, par Mgr Petit, évêque de Verdun, eut pour parrain et
marraine : M.
La Marle Jacques et Mme Hablot Madeleine.
M. La Marle était alors maire de Pouilly et Madeleine Hablot organiste.
Cette dernière était mariée à Michel Hablot, agriculteur à la ferme de
Prouilly. Il fut victime d'une collision avec le seul train qui passait
alors et ne s'en remit pas.
Je ne sais pas qui était le fondeur de cette nouvelle cloche.
Le curé d'alors était
Jean
Gary.
L'allocution du maire nous est connue, car conservée à la bibliothèque
diocésaine de Verdun.
"Excellence
C'est pour notre petite patrie un grand honneur que vous lui faites en
venant personnellement bénir notre nouvelle cloche et au nom de toute
la commune, je vous en remercie.
Malheureusement nos ressources ne nous permettent pas d'apporter tout
l'éclat voulu à cette cérémonie et je m'en excuse. Les bonnes volontés
n'ont pas manqué pour orner l'église et la cloche mais nous n'avons pas
de fanfare et selon le désir de monsieur le curé, les pompiers n'ont
pas revêtu leur tenue.
Cette cloche va prochainement rejoindre son ainée qui date de 1752 et
qui emmenée par les Allemands pendant la guerre 14-18 fut retrouvée
miraculeusement intacte dans la région de Stuttgart.
Le clocher va se terminer, malgré les difficultés de tous genres que
nous avons avec la coopérative La Renaissance des Clochers, et notre
vieille église, restaurée avec goût dans son ensemble, mais avec il est
vrai quelques points de détail d'un goût discutable, notre vieille
église donc, va redevenir pour nous, aussi accueillante que celle
qui a vu notre baptême.
Une tâche nous attend encore, c'est celle d'électrifier nos cloches,
car si nous sommes maintenant fiers d'avoir une seconde cloche, c'est à
condition qu'elles ne restent pas muettes toutes les deux et qu'elles
sonnent joyeusement ou tristement tous les événements de notre grande
famille paroissiale; mais nous y parviendrons avec du temps et de la
patience pour la plus grande gloire du Christ.".
(Au passage on remarquera dans le titre du journal qu'elle
s'appelle Madeine au lieu de Madeleine et Mgr Petit est qualifié de Mme
Petit en première ligne.)
Le rôle des cloches
La sonnerie rythmait la vie de nos ancêtres. Les Angélus, les
messes, les vêpres, le salut, les processions, les baptêmes, mariages,
inhumations etc.
La sonnerie des baptêmes était fonction de la pièce donnée au sonneur.
Pour les mariages de même.
Un décès était annoncé par les lesses. Le nombre de
sonneries dépendait du sexe et de l'âge.
On sonnait aussi pour les "Te Deum". Pour la
naissance d'un dauphin, une victoire sur l'ennemi ou la réussite
de
l'opération de la fistule de Louis XIV en 1686 etc.
C'était le ralliement de la population. On accourrait devant l'église,
abandonnant alors tous travaux et le curé ou le bedeau en expliquait
les raisons.
Mais elles sonnaient aussi le tocsin pour un feu ou l'approche de
l'ennemi On peut le lire pour le retour en
1792 du
seigneur de Pouilly.
Elles sonnèrent plus près de nous la mobilisation du 01/08/1914, mais
pas la libèration le 11 novembre, puisqu'elle était alors en Allemagne.
La sonnerie des cloches était d'autant plus ressentie que dans la
campagne, il n'y avait aucun bruit. On n'imagine pas ce silence
aujourd'hui, car existe maintenant et constamment un bruit de fond
proche ou
lointain.
De même on ne peut se rendre compte du noir de la nuit avant
l'électrification. Nous baignons maintenant dans un univers pollué par
la lumière et les décibels. Mais revenons aux cloches.
Parfois on les faisait taire.
Ainsi entre le jeudi saint et Pâques, elles se laissaient supplanter
par les
crécelles en bois, pendant leur voyage à Rome...
Les enfants de chœur tournaient alors ces substituts de cloches.
De retour le dimanche de Pâques, elles distribuaient les œufs et autres
bonbons dans les jardins.
On leur attribua longtemps le pouvoir d'éloigner les orages. Le clocher
étant généralement l'édifice le plus haut du village, il aurait plutôt
servi de paratonnerre. C'est d'ailleurs l'expérience que vécurent deux
sonneurs du village Le Grand-Abergement (01) le 28/07/1735 :
"Alban Gouge dit Joseph agé d'environ quarante ans est décédé
le vingt huit juillet mil sept cent trente cinq, ayant été frappé de la
foudre le dit jour sous le clocher en sonnant pour le tems à six heures
du matin et comme il jettoit les derniers soupirs on lui a donné
l'absolution et administré le sacrement de l'extrême onction etc."
et
"Bertrand Viviand dit Tarvenu agé d'environ vingt ans est décédé
le vingt huit juillet mil sept cent trente cinq, ayant été frappé de la
foudre le dit jour sous le clocher en sonnant pour le tems etc." (AD01
Le Grand-Albergement 1733-1737 14/26)
On peut se demander si les paroisses voisines sonnaient également pour
éloigner l'orage, se renvoyant ainsi la balle de village en village !
Une loi du 02/01/1907 réglementa les sonneries civiles et religieuses.
Des dispositions de cette loi prêtent à sourire. Ainsi il est
interdit de sonner en volée pendant un orage ou de sonner en dehors des
plages 5:30- 21:00 en été et 6:00-20:30 en hiver. La durée n'excédera
pas un quart d'heure.
Le budget de 1849 alloue la somme de 40 francs comme gage du sonneur.
Cette dépense se retrouve sur les budgets qui suivent et sensiblement
pour la même somme.
En 1907 Le conseil municipal vote la somme de 70 francs en faveur de
la dame
Irma Lambert
(1870-1939) épouse de Justin Alfred Lequy qui sera chargée des
sonneries civiles à 6:00 du
matin, à midi et jusque 6:00 du soir.
En 1920 la sonnerie est attribuée à
Victor
Auguste Pognon (1875- >1926) moyennant 300 francs. Il doit
sonner à 6, 12 et 18 heures du 01/02 au 01/10 et du 01/10 au 31/01 à 17
heure. (Réunion conseil du 09/01/1920 art 2)
Il habitait la dernière maison en allant vers Inor de la rue des
Carrières.
En 1925 (Courrier du 28 février) la sonnerie des cloches pour des
évènements civils concerne :
- Le passage officiel du président de la république.
- La veille de la fête nationale, le jour de la fête matin et soir.
- Pour prévenir les habitants en cas d'incendie, inondation, invasion
de l'ennemi, émeute etc.
- Pour appeler les enfants à l'école
- Pour annoncer l'ouverture des séances du conseil Municipal.
- Pour annoncer l'ouverture et la clôture du scrutin les jours
d'élection.
- Pour annoncer le ban des vendanges.
- Pour annoncer les heures de repas et celles de reprise des travaux
aux ouvriers des champs.
Par contre la sonnerie des cloches en volée est interdite pendant les
orages.
Initialement sonnées à la corde, les cloches furent "électrifiées"
quand le clocher fut reconstruit.
Puis les sonneries habituelles disparurent car elles gênaient les
nouveaux campagnards...
Le
"Lien" magasine paroissial, de septembre 2018 a donné à ce propos les
appréciations d'un "nouvel habitant" de Pouilly, qui regrette les
angélus d'antan. Article bien intentionné mais comportant quelques
inexactitudes.