armoiries PouillyLe sieur Polliaco Victor

Ou l'histoire d'une imposture !



Victor de Polliaco



Trouver ses ancêtres jusqu'aux temps les plus reculés est le rêve de tout généalogiste.
Encore faut-il le faire avec honnêteté et en fournir les preuves.

Charlemagne, Jésus, Hugues Capet etc. font partie des fantasmes et aujourd'hui encore, bien des généalogistes se "trouvent" des sosas jusqu'à la trentième génération !
Cela fait sourire mais ce n' est pas anecdotique.
Cette tricherie avait souvent des fins politiques. Ainsi François de Rosières (1534-1607) en usa pour se placer auprès des ducs de Guise. Il inventa pour ce faire une généalogie où il était prouvé que la famille de Guise descendait en droite ligne d'une fille de Charlemagne. Il la faisait même remonter jusqu'à un fils de Clodion, sur lequel Mérovée aurait usurpé la couronne, ce qui donnait aux Guise des droits sur la couronne de France, nous dit André Theuriet. La supercherie fut découverte, il fut emprisonné et son livre "Stemmatum lotharingiae ac barri ducum" supprimé.

D'autres plus "réalistes" tentèrent de trouver du "vraisemblable", quitte à tricher un peu...

Louis Albert de Pouilly
en fut, et tenta de crédibiliser une improbable "Chroniques de Mézières" (AD08 E 747, voir aussi 1 J 62 ), lui fournissant des aïeux jusqu'au 10 ème siècle !
Il fit certifier conforme une copie, par les notaires du comté de Stenay, le 30 mars 1768, puis à nouveau 11 ans plus tard par Lefevre, notaire au Chatelet de Paris.
Cette chronique éditée dés 1751, devait expliquer l'origine de Mézières, mais aussi les faits marquants des pays de Reims, de Stenay du Rethelois etc.
S'en suivent 28 notices annuelles de 830 à 1020 soit disant écrites par Alard de Genilly, un moine de l'abbaye de Signy dans les Ardennes.



Dénoncée par Auguste Longnon dans son "Etude sur les pagi de la Gaule", (appendice B, page 123) qui s'appuyait déjà sur les travaux de M. Wattenbach, puis par M. Pascal Sabourin, cette chronique a perdu toute crédibilité.

Même et surtout, si l'abondance de références à la dite chronique, semble lui conférer un soupçon de vérité.
Les reprise successives ne peuvent constituer la preuve de son existence.

Parmi les historiens qui ont propagé cette généalogie, les inévitables Jeantin, Denain et quelques autres locaux un peu "copieurs".

On retrouve la même fable dans "Histoire ecclésiastiques et civile du diocèse de Laon et de tout le pays contenu entre l'Oise et la Meuse ..." page 594, de Nicolas Le Long, en 1783.

Anatole de Barthélemy dans "Le Dormois (pagus dulcomensis ou dolomensis) 812-1020" 1856 page 361 s'en accommode.

Dernièrement (2000), Olivier Ducamp dans son livre "Les Pouilly, une famille millénaire" a repris à son compte ces mêmes assertions.
Tout comme Eddie de Tassigny dans "Les Mensdorff-Pouilly. Le destin d'une famille émigrée en 1790". Bihorel : Éditions le Bois d'Hélène. 1998
Un mémoire de maîtrise de Gregory de Gostowski, "La féodalité dans le comté de Porcien Xe-XIIIe" en 1998, s'en accommode également. (Mémoire de maîtrise, sous la direction de M. Ch. Vulliez, co-direction de M.J. Lusse ).

Gérard Dardart, historien ardennais, dans le bulletin municipal de Charleville-Mézières, no 22 de septembre 1998, en fait état sous le titre "Mézières, bouclier français" !

Et la liste n'est pas exhaustive. Asinus asinum fricat...

Faut-il penser que le recours à la même référence l'a officialisée ?
Sans aucun doute.




Mais voyons tout de même ce qu'en disait Denain chez qui on devine un certain doute :

"Victor seigneur de Pouilly se trouva à la bataille donnée contre Zwentibold,  roi de la Lorraine en 900, dans laquelle il terrassa un officier de marque qui avait un bouclier d'argent, sur lequel était gravé un lion qu'il lui enleva.
Il était aussi appelé vaillant guerrier Strenus miles.
En mémoire de cette action, ses successeurs ont pris pour armoiries, d'argent à un lion d'azur armé et lampassé de gueules."
Et Denain souligne :
"Il paraît une lacune de près de trois siècles et demi entre ce Victor mort en 940 et Albert de Pouilly qui en 1286 était prévôt de Stenay.".

Trois siècles et demi ! Soit prés de 14 générations.
.

denain polliaco






Voici l'analyse de M. Sabourin

Parue dans la revue Terres ardennaises du mois de juin 2011, sous le titre :

" La chronique de Mézières, un document fort singulier..."

L'avantage de cet article est d'y trouver une synthèse des études qui ont été faites sur ce curieux document.
M. Sabourin avait déjà développé ses arguments lors d'une conférence donnée le 12 mai 2006, aux archives départementales des Ardennes.

Il retient quatre critères d'analyse :


La forme.
L'original est introuvable, mais les copies révéleraient que le texte primitif aurait été rédigé en caractères rouges et noirs, procédé graphique étranger au XIIe siècle.

La langue.
On trouve dans la chronique des fautes grammaticales grossières qu'un chroniqueur maîtrisant le latin, n'aurait pas faites.
Pas plus qu'un copiste du XVIIIe, habitué aux textes de cette époque.

L'onomastique
Il y relève des anachronismes flagrants. L'utilisation de noms inconnus comme Isabelle qui n'apparait en France qu'au XIIIe, ou Gisla, féminisation de Gilles, si ce n'est que la forme latine de Gilles est Egidius.

Le cadre politique régional
"De semblables anachronismes entachent la géographie politique régionale évoquée dans la chronique :
Comté de Grandpré au Xe siècle, terre de Pouilly-sur-Meuse et comté de Rethel au cours du siècle suivant. Or, ces toponymes n'apparaissent pas avant le XIe siècle, et en tout cas Grandpré et Rethel ne pouvaient constituer des centres de commandement comtaux à l'époque carolingienne, puisque les centres de commandement se situaient ailleurs.".

"Enfin, erreur grossière, à moins d'avoir subi un glissement tectonique temporaire, Omont ne pouvait être inclus dans le pays de Doulcon, dont il était séparé d'une quarantaine de kilomètres...".



A cela il faut ajouter :


Les oublis historiques.

M. Sabourin met en parallèle les annales de Flodoard  et la "Chronique de Mézières".
Il constate que les événements majeurs qui ont incontestablement touché le diocèse de Reims et la région ardennaise n'y sont pas relatés.
"Il (le chroniqueur) passe notamment sous silence la terrible lutte autour du siège archiépiscopal entre Hugues de Vermandois, fils du comte Herbert, et Artaud ainsi que d'une façon plus générale les conflits entre les grands du royaume et Louis IV d'Outre-mer.
Comment expliquer une telle ignorance chez un auteur qui s'est donné pour objectif de transmettre à la postérité tous les faits marquants de l'histoire de la région !
Pourquoi ne s'est-il pas référé à l'œuvre de Flodoard, abondamment utilisée depuis la fin du Xe siècle pour combler ses ignorances ? "

Comitatus (pagus) Stadunensis. L'anachronisme fatal.

A plusieurs reprises, l'auteur de la "Chronique de Mézières" emploie l'expression pagus ou comitatus Stadunensis pour désigner le pays de Stenay.
Ce pagus ou comitatus Stadunensis, correspond en réalité à l'Astenois, une vieille subdivision administrative carolingienne, incluse dans le territoire épiscopal de Chalons qui donna naissance à un comté féodal organisé autour de Dampierre en Astenois...
Nous sommes donc géographiquement, fort éloignés des rives de la Meuse, et de Stenay, séparé de l' Astenois par les terres septentrionales du comté de Grandpré, successeur du Dormois carolingien.
La forme latine de Stenay était Satanacum, et du IXe au XIIIe siècle, c'est-à-dire pendant la période concernée par notre chronique, le toponyme de Stenay n'avait pas varié.
D'où provient alors la confusion fatale commise par le pseudo Allard du XIIe siècle ?
Probablement de l'utilisation aventureuse d'un ouvrage de l'érudit Adrien de Valois, publié entre 1646 et 1658... C'est-à-dire cinq siècles plus tard !
En identifiant Stenay au chef-lieu du pays d' Astenois, il latinisait de ce fait le nom de la ville en Stadunum (forme adjectivée : Stadunensis).



1155-1745 Aucune trace de la chronique !

Il faut souligner l'occultation totale du document pendant six siècles, de 1155 au milieu du XVIIIe siècle, aucun érudit, local ou non, ne l'a repris en référence pour alimenter ses informations.
Autre constat, il est également absent de l'inventaire dressé par don Guyton en 1744-1749, de la bibliothèque de l'abbaye de Signy, ce qui ne peut que surprendre pour un travail censé être issu du scriptorium de ce monastère !
En fait, avant d'être recopiée, la chronique est citée uniquement dans les archives de la paroisse de Saint-Juvin (08) comme l'indiquait en 1732 le curé de Chatel-Chehery (08).
Quand on sait que la destruction de l'église de Saint-Juvin eut lieu lors des guerres du XVIe siècle, on peut se demander par quel miracle l'original de 1155 aurait échappé aux flammes ?
Et surtout pourquoi ce document se serait-il trouvé dans cette paroisse ?
Le seigneur de Pouilly est né en 1731. Il a connu le curé Blanchot, desservant notre village, mais né à Saint-Juvin en 1677 et décédé en 1744. Est-ce au contact de ce curé qu'il a muri cette histoire ?



Pour résumer, le jugement de M. Sabourin est sans appel :

"Il n'est plus possible de considérer comme authentique la "Chronique de Mézières" et de l'utiliser comme source de l'histoire médiévale ardennaise.
Pour autant la supercherie doit-elle tomber aux oubliettes ? Je ne le pense pas. Il convient dès lors de la considérer pour ce qu'elle est réellement, une œuvre de commande réalisée pour satisfaire l'orgueil généalogique d'une famille noble du milieu du XVIIIe siècle.".

Donc hélas pour nos historiens locaux, la famille de Pouilly ne peut assumer son ascendance jusqu'au X ème.

Victor Polliaco a vécu.


En complément :

Les archives tchèques de Nepomuk conservent deux feuillets où cette chronique de Mézières est évoquée :
"Vous vous rappelez  monsieur, que nous avons examiné ensemble l'année dernière, la chronique d'Alard de Genitule (sic) abbé de Signy écrite en 1155, mais dont il n'y a qu'un fragment dans l'histoire du diocèse de Laon de Dom Le Long ; et je me souviens que vous m'avez dit que vous aviez cette chronique bien plus complète, dont vous avez donné une copie à M. de Brequigny. Pendant l'été je parlais à ce père Cavin que vous aviez vu ici de cette chronique, et lui dis que je voudrais qu'on l'insérât dans le grand recueil des historiens de France qui se fait par les Bénédictins sous les auspices du gouvernement. En conséquence il a écrit à Dom Brial un de ses amis qui travaille à cet ouvrage et voici ce qu'il lui a répondu :
J'ai sous les yeux la chronique de Gérard de Genitule imprimée par Dom Le Long ; j'avoue qu'elle n'a rien de commun avec celle de Sauvigny (dont il lui avait apparemment parlé) mais elle finit en 1020. Quoique je la connaisse depuis longtemps, je n'en ai fait aucun usage parce que cette dernière époque est trop reculée pour nous. Si il était possible de l'avoir plus complète, surtout jusque l'année 1155 nous pourrions en faire usage dans le tome XIV d'autant qu'elle aurait besoin de beaucoup d'éclaircissement et Dom Le long n'en a donné aucun"

On sent une certaine réticence vis à vis de cette chronique dont Dom Brial espère des éclaircissements...

Mais alors d'où vient cette famille ?


Nous allons voir qu'on a essayé aussi de lui donner d'autres origines. Parfois tout aussi fantaisistes hélas.
Et on y retrouvera les Jeantin habituels... Les origines seraient là.