Nos maisons.
On peut imaginer Pouilly du 16e au début 19e comme tous les autres
villages de campagne du nord de la Meuse.
Des maisons peu riches, les unes contre les autres, avec un petit
jardin attenant, dans des rues peu praticables.
Avec quelques demeures plus cossues de bourgeois ou de gros laboureurs.
"Quand on se penche sur le passé d'un village, on reste effaré des
conditions dans lesquelles vivaient nos ancêtres, surtout en milieu
rural. Les maisons basses souvent insalubres, se sont regroupées les
unes contre les autres. Devant les maisons, des espaces qui finissent
par former des rues, sont de véritables bourbiers où trônent les tas de
fumier et d'immondices, où stagnent les eaux ménagères, où ruisselle le
purin. Tout cela à moins de 2 mètres de la porte d'entrée et de
l'unique fenêtre". (Ceconnello Terres Ardennaises no 32 10.1990)
Arthur Young, (1741-1820) agronome anglais dans son ouvrage
"Voyage en France pendant les années 1787, 1788, 1789 " est passé
en Meuse. Il écrit : "
Traversé les Islettes, ville (je devrais
dire amas de boue et de fumier), avec un aspect
nouveau qui semble, ainsi que la physionomie des gens, indiquer une
terre non française."
Leur construction ?
La pierre
De la pierre essentiellement. On ne rencontre pas de briques à Pouilly.
Il suffit de voir les "carrières" actuelles pour comprendre d'où
venaient nos matériaux.
En 1921 elles étaient encore en activité. Une séance du conseil
municipal fait état "...d'une demande de M. Ferry tendant à obtenir
l'autorisation, pour l'exploitation de sa carrière lieu dit Chaufour à
Pouilly, de rétablir la voie ferrée sur la route telle qu'elle existait
avant guerre, de déverser les décombres dans la noue (le sangsue)
située en face de la carrière, moyennant une redevance à la commune".
Bien des mètres cube ont été tirés pour faire reculer le front de
taille à sa position actuelle.
Le toit
Les charpentes venaient sans nul doute du bois de Jaulnay.
De la tuile "romaine", modelée "sur la
cuisse" et cuite au four. Faites à Pouilly ? C'est peu probable,
l'argile n'y est pas favorable. Mais par des
fabricants de la région certainement. Moulins possédait une tuilerie.
Ces tuiles sont parfois porteuses de messages amusants :
"Auguste est un con Auguste double con".
"Le 18 février con pour sal...". etc.
On ne connait pas le nom de ces artistes...
De l'ardoise pour l'église, la mairie, venue par la Meuse de Revin ou
Fumay.
A Beaumont, Didier Elain est maître couvreur d'ardoise. Il est le
parrain le 21/02/1712 avec sa femme Jeanne Ligot de Didier Ligot. (AD55
Pouilly 1673-1722 188/276). Mais je n'en ai pas trouvé à Pouilly.
Le sol
Quant au sol, à part quelques maisons bourgeoises on se contentait de
la terre battue. (On peut à ce sujet se poser la question des crues
quand on voit certaines maisons si proches de la Meuse.)
La terre battue n'a pas survécu au 19e et le carrelage, tomettes de
couleur rouge ou carrelages colorés l'a remplacée.
L'intérieur
Les murs ont souvent été chaulés. Le blanc au début assurant un peu de
luminosité. Puis le papier peint a un peu égayé les intérieurs.
Les
fenêtres réduites à leur plus simple expression, fermées par du papier
huilé et qui avec l'arrivée des vitres ont assuré un minimum
d'éclairage. Il faut se souvenir aussi que l'impôt tenait compte du
nombre de fenêtres.
Les portes étaient bien sûr en bois et avec serrure, bien que par
habitude on ne la fermait jamais. Le village était ouvert.
A l'intérieur l'inévitable cheminée au tirage souvent anémique.
Le ventre au chaud et le dos au froid, on y pratiquait les veillées
jusqu'à l'électrification du village.
La cave
En pays viticole, beaucoup de maisons hormis celles à proximité de la
Meuse, possédaient une cave. Mais elle servait aussi pour les légumes,
fromages, saloir et autres denrées qui se conservaient au frais.
Voûtées, en pierre, certaines ne manquaient pas d'allure, comme celles
du château, de la grosse tour ou de la maison en haut de l'actuelle
"rue de Praouilly".
Maison de tous les risques.
La maison n'était pas le havre de paix de nos jours.
Si elle servait de refuge elle n'était pas sans danger.
Quand on lit les chroniques de Jean Taté, écrivain certes des
Ardennes, mais si proche, on constate que l'incendie était une
véritable calamité.
"... en la dite année 1733 le 24 septembre , incendie terrible un jour
de vendange, sur les onze heures du matin, qui a consumé 75 maisons
sans les granges et écuries... le feu ayant percé le toit de la grange
et de la maison où il avait pris par une vieille femme qui avait un
chauffoy (ou couvet, vase en terre cuite vernissée avec anse sur lequel
on pose les pieds) dans son lit et qui n'osa avertir personne... etc."
Le 13 juin 1773, un autre écrivain Ardennais (André Hubert Dameras)
nous
dit qu'un incendie à Herpy (08) a brûlé 80 maisons ainsi que l'église
et que les cloches ont fondu..."
Il ajoute en 1779 : "...On a établi dans les communes des bureaux
pour le soulagement des incendies et encourager les couvertures en
ardoises..."
Et en 1785 il continue "... le troisième may le feu a été à Rozoy
(08), il y a eu 200 maisons de brûlées; c'est une grande perte..."
Déjà en 1212, Fulgence Richer nous apprend que : "... la ville de
Mouzon
fut brûlée depuis le pont du marché, jusqu'à la porte de France jusqu'à
l'abbaye.".
A Mouzon le conseiller du roi en 1735 doit légiférer pour imposer un
minimum de précautions :
"Défendons de mettre à 4 pieds prés des cheminées... aucune matière
combustible.
Enjoignons de les nettoyer ou faire nettoyer deux fois l'an et de les
tenir en bon état.
Enjoignons à tous ceux qui auront des fours dans les chambres hautes ou
greniers dont les environs ne seront pas bien cimentés ou pavés de les
faire démolir dans la quinzaine.
Défendons de faire sécher aucun chanvre ou lin dans les cheminées ou
fours.
défendons de porter du feu d'un endroit à un autre que dans des
vaissaux de terre ou metail, comme aussi d'aller de nuit dans les
granges, écuries ou bergeries avec autre feu qu'une lumière enfermée
dans une lanterne.
Tous ceux chez lesquels le feu prendra seront condamnés etc. " FR
Dûs au manque de moyens, aux toits en chaume, à l'imprévoyance de nos
ancêtres, à la mitoyenneté, ces incendies pouvaient détruire un village
en une seule fois.
Les gens de guerre y remédiaient aussi... (
Letanne en
1635 par exemple), par représailles, pour non
paiement des contributions ou par besoin stratégique de la "terre
brûlée" etc.
Et quand on parle de gens de guerre, il faut penser armée amie comme
ennemie.
Le problème était donc pris au sérieux.
En 1822 les comptes de la commune nous apprennent que Noël Arnould à la
demande du maire reçoit 6 francs pour avoir fait la visite des fours et
cheminées.
Dés 1832 un corps de
sapeurs-pompiers est créé.
Maisons de tous les risques aussi car les conditions sanitaires y
étaient déplorables.
On puisait l'eau à la Meuse, au puits comme il en existait à Pouilly.
Meuse ou puits tout aussi pollués d'ailleurs... Les fumiers
(symbole de richesse pour le paysans) assuraient l'insalubrité...
Il est à noter que
durant les occupations allemandes, ces fumiers furent interdits, mais
revinrent dés la libération du village.
Ils ne disparaitront que dans les année 60/70.
Les abattages d'animaux à une époque où l'équarrissage était inconnu,
n'arrangeaient pas l'état sanitaire des eaux.
Il faudra finalement un arrêté pour que les carcasses soient déposées
dans un "
cimetière"
officiel.
Un intérieur bien mal commode
Il ne faut pas s'imaginer la demeure paysanne éclairée, chauffée, vaste
etc.
Non hélas pour eux, nos parents vivaient souvent dans une seule pièce.
Une cheminée servant pour le chauffage et pour la cuisson des repas,
évacuant ce qu'elle peut de fumée, le reste enfumant cette pièce
principale.
Et
pas question d'ouvrir les fenêtres, quasi inexistantes ou
réduites à leurs plus simples dimensions, pour ne pas perdre de
précieux degrés. Parfois vitrées, souvent en papier huilé, en tout cas
incapables d'amener une clarté suffisante et la moindre isolation
thermique.
A la veillée on avait "le ventre au feu et le dos au froid..." et
j'ajouterai les poumons enfumés.
Le moyen de chauffage était essentiellement le bois. Le ramassage du
bois mort était autorisé. Puis l'affouage fut permis et réglementé. Il
se pratiquait dans le bois de Jaulnay avec une rotation des coupes
étalée sur 25 ans, laissant la forêt se reconstituer.
Le Petit Ardennais du 21/03/1898 publie une annonce pour la vente de
bois par Me Munsch, notaire à Stenay le 27/03/1898. Il s'agit de 8 000
gros fagots, 200 stères de bois de quartier, 200 stères de rondins, à
la réserve de Pouilly appartenant à M. Moulin-Parpaite de
Carignan.
Et fin du XIXe siècle arriva le charbon. Il était connu dans
l'industrie et la traction ferroviaire, mais encore peu utilisé pour le
chauffage domestique.
Compact, car moulé, il était livré en sac. Sa combustion émettait une
fumée malodorante, mais sa capacité calorifique la faisait oublier. Le
charbon disparut à la fin du XXe siècle avec la fermeture des mines.
Pour s'éclairer, la lampe à huile malodorante ou la bougie, puis la
lampe Pigeon à essence, l'acétylène etc. Le XXe et la présence de
l'usine électrique amènera l'
électrification
du village et des habitations.
Beaucoup de maisons comme celles sur les hauts pavés et en face étaient
étroites
et ne comportaient sur la rue qu'une porte et une fenêtre. Donc une
pièce éclairée sur la rue, une pièce borgne au milieu et une donnant
sur les jardins derrière et donc sombre et en contrebas. Ce peu
d'ouvertures sur la rue se comprend si on sait que l'impôt sur les
maisons était fonction de ces ouvertures.
Et la même configuration à l'étage. Il faut compter une vingtaine de
mètres en profondeur et huit à dix en façade.
Toutes les rues étaient bâties, rue de la cure, Ruelette etc.
Ci-dessous nous voyons la ruelle de Nonancourt et les maisons qui y
existaient jusqu'en 1940.
On peut aussi le constater sur ce plan du XIX ème.
A partir de ce plan, on peut dénombrer environ 125 bâtiments. Ce
peut être des granges, voire des fermes complètes, mais cela donne une
idée de la densité de l'habitat.
L'annuaire du département de la Meuse
1854
(BIBR 114) donne le chiffre de 146 maisons en 1853 pour une population
de 657 habitants, soit une moyenne de 4,5 personnes par maison.
Les recensement du XX ème donnent :
En 1926 119 maisons pour 286 habitants répartis en 97 ménages. Moyenne
2,4
En 1931 92 maisons pour 249 habitants pour 82 ménages. Moyenne 2,71
En 1936 111 maisons pour 261 habitants pour 94 ménages. Moyenne 2,35
En 1946 65 maisons pour 218 habitants pour 37 ménages. Moyenne 3,35
Le cadastre actuel présente les mêmes implantations de bâtiments.
Et dans ce peu de pièces s'entassaient souvent deux à trois
générations.
Il ne faut pas perdre de vue que Pouilly a compté jusqu'à 800 habitants
en 1841. Voir cette page
recensement
On imagine la nuit, le nouveau né hurlant en quête de la tétée, les
parents en
quête eux, d'une prochaine naissance, les enfants rompus de
fatigue et ronflant comme des sonneurs, le grand-père grabataire avec
toutes les déficiences liées à son âge etc.
Jusqu'au XX ème siècle il était courant de dormir à plusieurs par
chambre, voire à plusieurs par lit.
La promiscuité tant familiale que sociétale, et je pense
particulièrement aux veillées qui rassemblaient les voisins, était
source de contagion, sans oublier les offices religieux, les veillées
mortuaires etc.
Il faut savoir qu'on ne vivait jamais seul.
La vie privée
n'existait pas pour nos ancêtres, en contact continuel avec les
voisins, la famille proche ou étendue, les marchands ambulants,
mendiants,
malades, soldats (qui vivent chez l'habitant) etc. Tout ce monde
envahissait le domaine familial.
Tout se sait, tout se transmet, les nouvelles comme les maladies.
Le mobilier ?
La table, un tréteau, des chaises ou plutôt un ou deux bancs.
L'armoire si elle existe, sinon un coffre où s'entassent les
"richesses" de la famille. Vêtements, draps et autres nippes.
Quant aux lits, ils sont souvent constitués d'une paillasse, d'une
couverture et un rideau éventuel pour isoler quelques émois.
Comme vaisselles des écuelles, des fourchettes quand elles
apparurent, des couteaux, un chaudron accroché à une crémaillère
et les ustensiles de cuisine tels que louches, passoires, bouilloires,
torchons etc.
La lecture des inventaires est instructive et nous renseigne sur la
richesse de nos aïeux.
On vit ensuite des armoires, des vaisseliers pour les plus aisés,
des lits un peu plus cossus, des miroirs, des horloges.
Avant d'être envahi par le formica, les buffets d'entre-deux guerres ou
de style Henry II.
Puis les premiers frigos en remplacement des gardes-manger en grillage
fin, les gazinieres, reléguant la cheminée au rang de feu d'agrément,
la machine à laver tuant l'activité du lavoir !
L'extérieur
L'extérieur ne valait guère mieux.
Une étable contigüe à l'habitation, voire dans l'habitation, la chaleur
animale compensant le peu d'efficacité du chauffage.
Pour les récoltes une grange, un grenier.
Un tas de fumier. Un tas de bois.
Un jardin ou un potager, un poulailler, des cages à lapins.
La fameuse cabane au fond du jardin, quand ce n'était pas dans l'étable
en hiver et sur le tas de fumier aux beaux jours. Quant au papier
toilette, il ne fut inventé qu'au milieu du XIXe. A la campagne, on
utilisait le journal ou des feuilles.
Aucun signe extérieur de richesse dans tout cela.
L'outillage
On pourra en regardant les pages métiers se faire une idée du matériel
dont disposait nos ancêtres pour travailler.
En plus des outils spécifiques à sa profession principale, chacun en
possédait pour jardiner, faire son bois,
faucher etc. car tous pour subsister pratiquaient des travaux
annexes ou pour eux-mêmes ou pour un plus riche.
En résumé
Ce tableau peut sembler pessimiste mais il est vraisemblable.
Voici d'ailleurs le descriptif d'une maison donnée par le Dr Louis
Brebant (1827-1886), chargé de soigner les malades à Voncq (08) lors de
l'épidémie
de choléra en 1854. Ce n'est certes pas à Pouilly, mais à quelques
dizaines de kilomètres près, il n' y a pas de différence notable
dans le mode de vie et l'habitat.
"Un pièce élevée de 7 à 8 pieds, parfois moins encore. Une fenêtre à
petits carreaux qu'on ouvre jamais. Une porte double qui prend encore
de l'espace dans cet étroit réduit. Dans un coin un évier, sous lequel
aigrissent les petits laits déjà aigres avec lesquels on nourrit un ou
plusieurs cochons. Au fond de cette pièce une alcôve encadrée d'une
boiserie armée de rideaux qui semblent inventés pour empêcher tout
renouvellement d'air. Telle est la pièce la plus salubre du logis,
celle qui sert de cuisine, de salle à manger, de salle de réception, de
chambre à coucher, celle où sont les meubles du ménage.
Après cette cuisine se trouve une pièce noire... avec l'entrée de la
cave, les cuves, les tonneaux vides ou pleins, les bottes de chanvre
vert ou sec, les bottes de haricots verts ou secs, l'herbe pour les
bestiaux et les potées de pommes de terre ou de grain cuit. Voilà la
chambre à coucher des enfants.
La troisième pièce est réservée aux bestiaux... Pour sortir le fumier
on passe dans la pièce noire et la cuisine...". (De l'Épidémie
cholérique de 1854, à Voncq (08) par Louis Brébant Gallica)
Le 20e siècle apporta à Pouilly un minimum de commodités.
L'
eau courante
fit l'objet de travaux dés les années 1900.
L'
électricité
apparut, favorisée par l'implantation d'une
centrale électrique.
Quant à l'évacuation des eaux usées, il fallut attendre la dernier
quart du 20eme siècle pour voir un début de solution.
Sinon auparavant les eaux allaient dans la rigole...et ensuite à la
rivière.
Les ordures ménagères jusqu'en 1950/1960 étaient stockées le long de la
Meuse et en partie à l'Herminie ou un peu n'importe où.
Certes il y avait beaucoup moins de déchets qu'aujourd'hui. Les poules,
lapins et autres cochons éliminaient le peu d'excédent alimentaire.
Les
bouteilles étaient consignées, la ferraille et les peaux de lapins se
revendaient et on jetait peu car "ça peut toujours servir...".