Enfance et adolescence, une période floue.
La petite enfance
Ce n'est pas le tout de naître ! Il faut vivre ensuite.
Le danger est partout à la maison mais aussi au-dehors. La mère
travaille, la surveillance est parfois relâchée.
Les accidents domestiques sont courants et pas seulement au domicile
des gens de la campagne.
Pierre Taisan de l’Estoile (1546-1611) en fait état dans
son journal. En voici deux extraits :
"Le mardi 28e, jour des Innocents [28 décembre
1610], mon petit Claude, par un grand inconvénient, fut brûlé dans la
garde-robe de ma chambre, où, regardant dans un coffre avec une
chandelle
allumée qu’il tenait en sa main, le feu se prit à sa fraise, qui fut
toute
brûlée, puis au col, aux oreilles, au menton, et [dé]jà allait gagnant
le
visage et les yeux : qui était pour l’achever de consommer et perdre à
jamais,
n’eût été que Dieu, le conduisant comme par la main, lui donna
l’adresse, tout
petit qu’il était, de déverrouiller la porte de la garde-robe où il
s’était
enfermé, et où nous entrâmes tout à point pour le secourir, mais non
sitôt [pas
avant] qu’il ne brûlât pour le moins demi quart d’heure, avant que
pouvoir
éteindre le feu.
"
En même temps Madame d’Eaubonne, qui avait
épousé le fils de M. le président d’Ormesson, perdit par un
inconvénient de
feu, en une sienne maison des champs près de Paris, une sienne petite
fille,
âgée de quatre à cinq ans, qui fut si bien brûlée, pendant qu’elle
était allée
à l’église, qu’on lui voyait les entrailles sortir, et ne fut possible
de la
sauver, mais mourut cette pauvre petite créature innocente, au bout de
douze ou
quinze jours, avec tourments et douleurs cruelles. A laquelle cuidèrent
faire compagnie deux siennes petites sœurs, qui furent brûlées aussi,
et ce,
par la mauvaiseté et indiscrétion d’une servante, à laquelle Madame
d’Eaubonne,
s’en allant à l’église, les avait laissées en garde, et commandé
expressément
de ne point sortir, qu’elle ne fût revenue. Mais cette méchante fille
n’ayant
laissé pour cela de s’en aller, aussitôt qu’elle fut partie, ces trois
petites
filles, étant près du feu, tombèrent dedans, la plus grande ne pouvant
aider à
la plus petite, tellement que, sans une spéciale grâce de Dieu, elle
perdait
misérablement, en une matinée, trois siens petits enfants."
La proximité des animaux est aussi un danger constant. On pourra lire
le procès d'un porc à Nepvant qui avait dévoré un enfant
en
1526
Les puits, la Meuse, les abreuvoirs sont autant de lieux propices aux
noyades.
La cheminée, les outils, les ustensiles de cuisine sont causes de
blessures, de mutilation ou de mort.
En bas âge, l'enfant est confiné dans des langes qui lui interdisent
tout mouvement. Ce confinement n'a disparu qu'à la fin du XXe avec
l'arrivée des grenouillères.
L'enfant dort souvent avec sa mère, autant par manque de place que pour
faciliter l'allaitement la nuit. L'église condamne cette pratique
populaire qui entraîne parfois la mort par étouffement. Mais à une
époque où la plupart des maisons sont peu ou mal chauffées, coucher un
enfant auprès de soi, peut aussi apparaître comme un geste protecteur.
Si la mère allaitait dans les familles rurales, il n'en était pas
toujours de même dans les familles aisées. On faisait alors appel à une
nourrice, (les femmes du Morvan étaient parait-il les meilleures
!) en bonne santé et de bonne éducation, si possible primipare.
Ces nourrices officiaient soit à domicile, soit chez elles où l'enfant
était emmené, dans des conditions parfois déplorables.
Mais on n'en connait pas à Pouilly.
Quand il commence à marcher on le place dans l'ancêtre des "youpalas"
ou dans des paniers d'osier accrochés au mur.
La mortalité durant la petite enfance pour la période 1673 à 1722
Entre 0 et 20 ans, on constate les décès suivants :
- 97 avant 1 an
- 28 avant 2 ans
- 13 avant 3 ans
- 12 avant 4 ans
- 6 avant 5 ans
- 2 avant 6 ans
- 4 avant 7 ans
- 3 avant 8 ans
- 2 avant 9 ans
- 2 avant 10 ans
169 enfants sur 801 naissances n'atteignaient donc pas l'âge de 10 ans,
soit 21 % des nouveaux nés...
En complément on peut se référer à la page
mortalité
infantile
L'adolescence
On remarque sur les registres que beaucoup savent signer à partir de la
moitié du XVIII e
Certes la signature est parfois maladroite mais ce ne sont plus ces
bâtons malhabiles qu'on trouvait précédemment.
Voici trois exemples parmi d'autres de signatures :
Il s'agit de Jean Baptiste Gouverneur
et
Catherine Bertrand.
Et là de Barbe Dian et non Bebar...
Celle-ci est de Jean-Baptiste Durlet. Le milieu social n'était pas le
même.
Est-ce à dire que nos ancêtres étaient instruits ?
Certainement, mais peu. Il existait bien sûr des
écoles
avec des
maîtres.
Mais la priorité était donnée aux travaux nourriciers.
Quant aux jeunes filles, leur avenir était plus à aider leur mère
que d'étudier des choses, dont à cette époque, on n'avait pas forcément
le plus urgent besoin.
L'école devint obligatoire pour tous par la loi du 28/06/1833. C'est
François Guizot qui en fut l'instigateur précédant Jules Ferry.
Dans son "Atlas de la France et ses colonies" édition 1872, Alexandre
Aimé Vuillemin (1812-1886) fournit par département le pourcentage des
populations qui savaient lire et écrire. En Meuse pour 301 653
habitants nous sommes à 88%, les Ardennes 326 864 h, 79 %, la Marne 390
809 h, 79 %
D'une manière générale les départements de la zone nord sont plus
"instruits" que ceux de la zone sud. L'ain 55%, Ardèche 40 %, Corrèze
35 %, Loire 36 %, Mayenne 31 %, Aube 32 %, Landes 56% etc.
La lorraine s'en tire donc plutôt brillamment.
Le rythme scolaire était aussi diffèrent et s'accommodait des
travaux champêtres. Le besoin de bras, l'été aux vendanges,
vidait les bancs de l'école. Les enfants aidaient leurs parents.
Ainsi le conseil municipal du 04/11/1925 fixe les dates de vacances de
fin d'année. L'appréciation de ces dates relevait donc encore du
domaine de la municipalité.
Mais si l'école existait, les programmes ne ressemblaient que de loin à
ceux actuels.
Le français était bien sûr enseigné.
Lire
et écrire était le but premier.
Au XX ème les instituteurs se sont lancés dans la chasse au patois. En
effet, langue vernaculaire de nos ancêtres, elle variait d'un
canton, voire d'un village à un autre. Les révolutionnaires jacobins
avaient déjà lutté contre son utilisation, au nom d'une uniformisation
des relations inter-régionales, mais sans véritable succès.
au XXI ème siècle, il ne reste quasiment plus rien de ces patois,
exceptés quelques langues régionales. Charles Bruneau (1883-1969)
linguiste ardennais, a heureusement conservé quelques conversations
enregistrées au début du XX ème. On peut les écouter sur le site
Gallica de la BNF, et se rendre compte de la richesse de cette langue,
sacrifiée au profit du français, simple patois qui a mieux réussi que
les autres.
Plus près de nous, Jean Lanher (1924-2018) linguiste, spécialiste de
dialectologie, professeur émérite de l'université de Nancy II, nous a
laissé de nombreux ouvrages sur le parler de notre région.
La "Revue d'Ardenne et d'Argonne" du 01/01/1894 page 104 relate une
conversation réelle ou imaginée, que l'auteur localise à Pouilly sous
le titre "L'esprit de nos campagnes, causerie du matin" :
- Bonjour la vigile Protain.
- Eh ! Bonjour donc la voisine colin, et comment s'portez-v'bin ?
- Comme vous veyez là, ça n'vamm'co bin raide
- Et l'vi Djean Colas?
- Il est vouye à S'dan vend' ses pois et ses grains.
- Qu'est qu'ferions bin donc la vigile, pendant qu'nos houmes nu
sont-m' tout-là ?
- Si nous faisions don pâté et don tourte ; va quéri don lait dans
l'vachi.
- Oh non, ju n'peux mau, si m'houme mu voyot, i'm'tuerot.
- Boute boute la vigile. Les houmes sont coume on les fait ; j'en ai
fait mille et mille fois et i'n'm'y est jamais prins une fois.
Je n'ai trouvé à Pouilly ni de Jean Colas, ni de femme Protain, pas
plus que de Colin, qui puisse correspondre au XIXe.
Le
calcul faisait aussi partie
du cursus. Savoir compter permettait d'accéder à des fonctions ou des
métiers mieux rémunérés que l'agriculture, l'usine ou la vigne. On voit
par exemple ce
Jean-Baptiste Martinet
à qui l'on propose la place de comptable de l'usine de Pouilly à 14
ans. "C'était une carrière honorable et lucrative qui s'ouvrait devant
lui. En même temps qu'il tenait les comptes, il devait apprendre le
maniement des divers métiers de tissage.".
L'
histoire également, mais une
histoire souvent "revisitée" par des Michelet, Lamartine, Quinet,
Lavisse et autres.
Le XIX ème fut celui de la dénonciation du moyen-âge, de l'ancien
régime, quitte à "bricoler" quelque peu la vérité. Ce fut aussi celui
de la revanche et de l'anti-germanisme, portée par la défaite de
1870 et la perte de l'Alsace-Lorraine. Nos hussards noirs enseignaient
du Dérouléde !
Une loi de 1882 instaura même la création de "bataillons scolaires".
Les instituteurs faisaient faire la manœuvre aux enfants avec des
fusils en bois. Elle fut abrogée en 1892.
Au début du XX ème, on encouragera même l'enseignement du tir à
l'école. On sentait la guerre approcher...
La
géographie qui permettait
de situer nos départements, mais aussi les colonies.
La
morale, l'
éducation civique et religieuse, les
chants patriotiques
étaient censés faire de l'écolier un futur bon citoyen, un bon soldat,
un honnête travailleur et un bon père de famille. La devise "Travail,
Famille, Patrie" se devinait déjà.
Certains enfants, poussés par le curé, un parrain aisé ou l'érudit du
coin, partaient en ville en
apprendre un peu plus. Ce fut le cas de nos instituteurs, de quelques
militaires, et de quelques prêtres.
Parmi ceux-ci :
Le 29/09/1719, on trouve un "... Jean Gobert, jeune garçon étudiant..."
parrain de Nicolas Arnould et de Jeanne Limousin. (AD55 1676-1722
250/276).
La plupart des enfants travaillaient avec leur père, ou un oncle à la
ferme ou à l'échoppe.
Certains partaient en apprentissage chez un "patron" avec un contrat en
bonne et due forme.
D'autres s'enrôlaient, finissaient mendiants ou vagabonds. (A propos de
mendiant, il faut distinguer deux type de mendicité ; Celle qui est
itinérante, généralement mal vue.; Celle locale, due à une trop grande
pauvreté et qui n'était pas
infamante.
D'autres enfants, dans un milieu familial peu favorable, se
retrouvaient pour des peccadilles en "maison de correction". Leur
internement était à la discrétion d'un juge voire même du père qui
disposait d'une sorte de lettre de cachet.
Ces maisons de corrections qui perdurèrent jusque dans les années 70 du
siècle dernier, étaient en fait des "bagnes pour enfants". Elles
étaient normalement destinées à la rééducation de ces gosses, mais
d'une manière violente. Les gardiens, souvent d'anciens militaires,
jouissaient d'une totale immunité, tabassant à tout va ou profitant
sexuellement de leurs victimes, et bienheureux étaient ceux qui à leurs
21 ans sortaient avec un semblant de métier et sans dommages physiques.
Quant aux dommages psychologiques, n'en parlons même pas. Leur
réinsertion
Je n'ai pas trouvé à Pouilly d'enfants ayant séjourné dans ce type
d'établissement, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en eut pas.
Françoise Thomas a relaté l'histoire de l'école de
Moulins-saint-Hubert, sous le titre de "L'école de Moulins de A à Z"
En voici un extrait qui peut s'appliquer à toutes les écoles de l'après
guerre :
"La plume sergent-major, le boulier, les
bûchettes, la boussole, les encriers en porcelaine, les tables en
chêne, le
grand compas, la craie qui crisse sur l'ardoise, l'odeur de l'encre,
les bons
points, les images, les cartables en cuir, la trousse, le plumier, le
livre de
lecture Colette et Rémi, les W.C à la turque, la règle de trois, la
date de la
bataille de Marignan, les lignes à copier, la dictée quotidienne et ses
cinq
questions, les problèmes de train, de robinet, les bénéfices, les
pourcentages,
le calcul mental, la rédaction hebdomadaire, la récitation, les
devoirs, les
billes, le préau, les buvards, le bureau du maitre sur l’estrade,
l’éponge, la
cour, la morale écrite le matin sur le grand tableau noir, le poêle à
bois, le
cahier du jour, les blouses, le jeudi, les
grandes cartes sur les murs de la classe pour expliquer la géographie
de la
France, les sciences..."
Une longue liste qui éveillera quelques souvenirs !