La vigne et les vignerons.
On ne sait pas exactement quand la vigne fit son apparition dans la
région et à Pouilly en particulier.
L'existence de la ferme de La Vignette, partie de la grange de
Prouilly,
appartenant aux moines d'Orval est avérée dés 1375, son nom
apparaissant à propos
d'une terre de culture de la ferme voisine. (IN 1737 folio 258 verso).
Mais il est certain que la vigne était cultivée bien avant.
Si
La Vignette est le vignoble le plus connu, ce
n'était pas le seul et le Châtillon fut longtemps couvert de ceps.
Le nom de la ferme Vigneron, après celle de Saint-Rémy est lui aussi
évocateur.
Quelques jalons dans l'histoire
viticole de Pouilly.
Le curé
Polonceau
répondant au questionnaire d'une visite paroissiale vers 1770 dit de
ses ouailles :
"En général peuple paisible et assez rangé. Riche il y a 50 ans quand
il
avait des terres. Aujourd'hui gueux depuis qu'il n'y a que des vignes.
Peu laborieux, faisant beaucoup de dettes et n'en payant guère.".
Encore qu'un vigneron ne vivait pas que de sa vigne. En effet il avait
forcément un potager, un petit champ pour le blé ou autres céréales
panifiables, voire quelques emplacements pour des bêtes à laine
ou une vache.
Il ne faut pas penser que le vin était sur sa table tous les jours. En
effet la récolte était vendue en priorité pour payer ses impôts...
Donc au début du XVIII ème la vigne n'était pas la culture majeure des
villageois. En
un demi siècle elle le devint et sans doute au détriment des cultures
vivrières.
Le phénomène devait être général car Jean Taté écrit :
"En la même année (1729) le roi a rendu un arrêt par lequel il est
défendu à
telle personne que ce soit, de planter ni faire planter aucune vigne en
France, sous peine de grosses amendes, à moins que ce ne soit à côté
aride ne pouvant porter grains, en ce cas on peut y planter, mais avec
permission néanmoins et connaissance du terrain.
Cet arrêt a été fort nécessaire, car depuis 20 ou 30 ans, on a planté
des vignes partout dans des terres qui peuvent porter du grain en
abondance, ce qui est cause en partie que les grains sont chers.
Car j'ai vu dans certains pays où il n'y avait pas de vigne et qui à
présent en ont en quantité."
Le 5 juin 1731 un arrêt du conseil du Roi Louis XV, ordonne qu'il ne
sera plus fait aucune nouvelle plantation de vignes.
"La trop grande abondance des plants de vignes dans le royaume occupait
une trop grande quantité de terres propres à porter des grains ou à
former des pâturages, et causait la cherté des bois... et multipliait
tellement la quantité des vins, qu'ils en détruisaient la valeur...".
Les vignerons de
La Vignette dépendaient de l'abbaye d'
Orval et non du
sgr de Pouilly. Ils eurent des démêlés avec les curés de Pouilly qu'ils
ne payaient pas, bien que bénéficiant de leur secours spirituel.
Pour les vignerons de Pouilly, le travail de la vigne était
réglementé. La date de vendange faisait l'objet de discussions où le
curé soucieux de sa dîme, mais aussi autorité reconnue, avait son mot à
dire. En voici un exemple :
Le 15/06/1783 le curé
Duhoux
qui régente tout et veille particulièrement à ses intérêts et ceux du
sgr de Pouilly, décide avec l'accord (forcé ?) des habitants de Pouilly
de la date des vendanges.
"Nous soussigné Louis Duhoux, prêtre et curé de Pouilly et les maires
et
officiers de la haute justice de Pouilly, avec la plus grande partie
des
habitants, avons fait conjointement ce compromis :
1 - Il ne sera permis à personne de couper du raisin avant le jour
dénommé jour de vendange général.
2 - Il sera permis aux chefs de famille seulement d'aller dans leurs
vignes tous les jours où la culture sera nécessaire à la condition
qu'ils ne porteront ni hotte ni panier.
3 - Pourront les dits particuliers y aller avec les instruments
nécessaires pour cueillir les légumes trois fois par semaine à
condition que les hottes et paniers seront sujets à visite par les
gardes-vignes.".
Mais si sous l'ancien régime les
vignerons devaient attendre la publication du ban pour vendanger, cette
contrainte ne s'appliquait pas aux nobles qui pouvait faire
récolter avant cette date
En effet il faut savoir que la noblesse avait le droit de vinifier et
vendre son vin à n'importe quel prix avant tout le monde. Ce "droit"
s'appelait le Banvin.
Les vignerons du peuple passaient après.
Une loi de 1791 abolit le ban des vendanges qui ne furent plus liées
qu'à la maturité du raisin.
En 1811 on attribua au passage d'une comète, l'abondance et la qualité
du vin, qui prit le nom de "vin de la comète".
Quelques documents d'archive nous renseignent sur la production de vin.
A la Vignette la production était de 4800 litres à l'année en 1783 et
1788.
En 1851 Pouilly avait 58,41 ha de vigne.
En 1880 les vignes furent gelées à Pouilly (Petit Ardennais
26/05/1880)
L'avènement du chemin de fer permit d'acheminer avec facilité les vins
du midi, bon marché et de qualité supérieure. Cette concurrence
entraîna la régression de la production locale.
Et puis au XIXe, apparut le phylloxéra qui mit à mal bien des
vignobles. En fait il était déjà présent dans le sud de la France
depuis plusieurs années, mais les mesures prises pour l'enrayer, furent
trop tardives et trop mal appliquées.
Cependant le vin de Pouilly ne devait pas être si mauvais à cette
époque, puisque le Petit Ardennais des 14 et 15/07/1894 écrit : "Les
vignes de Mouzon n'ont peut-être pas la valeur de celles du clos du
Chaufour, des montagnes (sic) de Dun, de Pouilly, de Thiaucourt etc."
(AD08 Petit Ardennais 05/07/1894)
La vigne était pourtant déjà traitée contre d'autres maladies. Ainsi
L'est républicain du 06/10/1890 explique que "...les raisins que l'on
désespérait de voir mûrir, se sont très bien trouvés de la température
de ces dernières semaines."
On y apprend que les vignerons du canton de Stenay, à Inor, Martincourt
et Pouilly seront bien protégés des maladies. "On a pu constater
cette
année encore les heureux résultats du sulfatage qui non seulement
guérit la vigne du mildiou, mais encore entretient et fortifie sa
végétation et conserve la verdeur des feuilles".
En 1912 la vigne semblait pourtant encore bien implantée si on relit le
bulletin de la "Société des naturalistes et archéologues du
Nord de la Meuse" dans laquelle E. Lehuraux disait :
"M. Pierson affirme aussi que chez M. Juppin, l'instituteur de Pouilly,
quelques uns d'entre nous, les mieux entrainés sans doute, qui
n'étaient pas trop pressés par le temps, goûtèrent ensuite un autre
petit vin de pays, qui si il n'était pas aussi gris (le vin bien
entendu) que celui d'Inor, n'était pas fait pour faire rentrer les
langues déjà si bien en train".
Quand arriva la guerre, les vignes furent abandonnées faute de bras
pour les travailler.
Pourtant le "pinard" coula à flot dans les tranchées pour donner de
l'ardeur aux combattants et leur faire oublier la misère.
Le maréchal Pétain disait en 1935 : "La vin a été le stimulant
bienfaisant des forces morales et physiques. Il a largement concouru à
sa manière à la victoire". L’alcool et son effet désinhibant était
alors le bienvenu.
A Pouilly si cette activité reprit après 1918, ce fut marginal.
L'annuaire de la
Meuse de 1922 (il n'y en a pas eu de 1915 à 1921), si il fait état
d'agriculteurs, ne signale pas de vignerons.
Dans la côte, seul
René Collard
(20/10/1891-14/04/1971), fit encore son vin jusque dans les années
soixante. Il avait replanté une dizaine d'ares vers 1935.
Aux
dires de ceux qui l'ont goûté ce n'était qu'une aimable piquette...
Pierre Goubert disait de ces petits vins qu'il fallait être 3 pour les
boire. Un qui buvait et deux qui soutenaient le buveur !
Voici ce qu'écrivait
René
Dumont dans son ouvrage "Voyage en France d'un agronome". 1951
Librairie de Médicis, à propos de la vigne à Pouilly.
Sur cette rive droite, le fragment de côté escarpé, à allure de "côte
de Meuse", qui domine la route de Pouilly à Inor, porte de nombreux
talus, des restes de murs en pierres sèches, qui empêchaient la
descente vers le bas de la terre des vignobles. Il y en eut peut-être
80 ha au milieu et une quarantaine à la fin du XIXe siècle, juste avant
le phylloxéra ; toute cette côte en était couverte. Le parcellement y
était encore plus poussé que sur le plateau de culture : la pièce
moyenne n'atteignait pas cinq ares, certaines moins d'un are ! Aussi
étroites, les parcelles y étaient en effet trois ou quatre fois moins
longues. Outre le classique pinot qui fournit encore le Bourgogne et le
champagne et qui "coule" facilement s'il pleut à la floraison, un
cépage gris était apprécié. Le "meunier", ainsi appelé de ses feuilles
saupoudrées d'un duvet blanchâtre, donnait un rendement plus élevé d'un
vin moins goûté. Les ceps étaient plantés en quinconce, à 60 ou 65 cm
en tous sens, ce qui imposait le travail exclusif à la houe. Certains
serrés plus encore ; dans le cas des étés froids, le raisin ne
mûrissait pas. Le vin était vendu en pièces de 198 l.
Les échalas individuels, arrachés avant l'hiver, été mis sur les
chevalets. En mars on taillait à la serpette. Le premier sécateur fut
acheté cinq francs, c'était une somme, par le grand-père du maire
actuel en 1885 : quel événement dans la commune ! Personne n'en voulait
; puis tout le monde l'adopta. La première réaction paysanne et, de nos
jours encore souvent hostile à l'innovation ; par ignorance donc par
crainte d'erreur ; ou manque de fonds. Les gens de la commune voisine
d'Autreville, ne disposant pas de côtes favorables, y possédaient aussi
leurs vignes.
Phylloxéra, concurrence du Midi, fréquence des gelées printanières ; le
vignoble de Pouilly disparut totalement en 1908. Il fallut attendre
1935 pour voir le père Collard replanter 10 ares en deux parcelles,
cette fois en ligne palissées à 1,20 m pour pouvoir travailler
l'intervalle à la charrue. Inor compte peut-être une vingtaine de
petites parcelles analogues, de la taille "ravitaillement familiale".
Sur l'emplacement du vignoble on a planté quelques fruitiers. Mais la
friche gagne et des gosses, des traînards ou des malveillants brûlent
les herbes sèches abimant les arbres. C'est là que l'on trouve la
majorité des 72 ha de terrain inculte de la commune. Il faudrait boiser.